Le Britannique Timothy Morton est un intellectuel consacré, dont la pensée écologique est d’une ampleur et d’une radicalité sans équivalent. Son ouvrage « La Pensée écologique » a été traduit récemment en France.
(...) pour partie, quelques-unes des idées développées par Morton ont entre-temps perdu en originalité. Elles ont été reprises à leur compte (ou mises en avant) par d’autres essayistes et ne sont plus véritablement contestées. Par exemple, l’affirmation que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, imputable à l’activité humaine. Un Bruno Latour ou l’anthropologue Philippe Descola, pour ne citer qu’eux, surfent sur cette idée depuis des années.
Mais ce qui fait du livre de Morton un ovni dans le champ de la philosophie est qu’il développe une pensée écologique d’une ampleur et d’une radicalité sans équivalent en s’appuyant d’ailleurs sur des exemples, des situations, des personnages qu’il est allé chercher dans des mondes habituellement peu fréquentés par les philosophes. (...)
« Tout est interconnecté avec tout » (..)
Stimulante, sa pensée ne ressemble à aucune autre. Même si elle s’avère difficile à suivre, parce que paradoxale, emberlificotée, parfois délirante, on prend vite conscience d’avoir là, en lisant La Pensée écologique, un discours nouveau d’une ampleur exceptionnelle qui fera date une fois digéré et disséminé. Disons que Morton dynamite tout et nous fait voir les choses sous un angle original. (...)
L’idée centrale de Morton est que nous sommes interconnectés. Les hommes sont interconnectés entre eux. Quel que soit le geste que nous accomplissons — tourner le bouton d’une machine à laver, prendre l’avion, allumer un feu de camp —, nous sommes les acteurs conscients ou non de l’Anthropocène. Que nous fassions des gestes lourds de conséquences ou anodins, nous participons donc tous au changement climatique, à la disparition des espèces, à l’accumulation pour des siècles et des siècles des gaz à effet de serre. Mais il n’y a pas que nous comme acteurs. L’interconnexion va bien au-delà de l’homme. « Tout est interconnecté avec tout », écrit l’auteur. Cette relation à double sens concerne la biosphère, c’est-à-dire les humains aussi bien que des entités comme le plastique, le plutonium, les rochers, les virus, les fleurs, l’ADN. Nous vivons dans un « maillage » global tissé par les siècles passés et à venir. (...)
« Un monde d’être et non d’avoir »
Dans sa critique radicale, Timothy Morton n’épargne pas davantage le capitalisme. Le salut ne peut pas venir de lui car s’il sait se montrer réactif, à l’heure de l’Anthropocène ça ne suffit pas. Il faut être « proactif ». « Étant donné que la prétendue main invisible du marché “décide” des solutions à adopter au moment même où elle conduit les choses à leur perte, le temps que le marché “résolve tout”, il n’y aura plus rien à résoudre (…) Le réchauffement climatique est le symptôme que le capitalisme mondial ne peut plus maîtriser. »
La solution, selon Morton, c’est de « penser grand et d’agir grand ». Nous ne sommes pas arrivés à la fin de l’histoire, conclut-il, mais à son commencement. (...)