
La gangrène de la finance américaine a provoqué une crise économique mondiale dont on connaît les résultats : hémorragie d’emplois, faillite de millions de propriétaires immobiliers, recul de la protection sociale. Pourtant, cinq ans plus tard, par l’effet d’un singulier paradoxe, nul ne peut tout à fait exclure l’arrivée à la Maison Blanche d’un homme, M. Willard Mitt Romney, qui doit son immense fortune à la finance spéculative, à la délocalisation d’emplois et aux charmes (fiscaux) des îles Caïmans.
Son choix du parlementaire Paul Ryan comme candidat républicain à la vice-présidence donne un aperçu de ce à quoi pourraient ressembler les Etats-Unis si, le 6 novembre prochain, les électeurs cédaient à la tentation du pire. Alors que M. Barack Obama a déjà accepté un plan de réduction du déficit budgétaire qui ampute les dépenses sociales sans relever le niveau — anormalement bas — de la fiscalité sur les plus hauts revenus (1), M. Ryan juge tout à fait insuffisante cette capitulation démocrate. Son programme, auquel M. Romney s’est rallié et que la Chambre des représentants (majoritairement républicaine) a déjà entériné, réduirait encore les impôts de 20 %, ramenant leur taux maximal à 25 %, un plancher jamais atteint depuis 1931 ; il accroîtrait simultanément les dépenses militaires ; et il accomplirait le tout en divisant par dix la part du déficit budgétaire dans le produit intérieur brut américain. Comment M. Ryan espère-t-il réaliser une telle performance ? En abandonnant à terme au privé — ou à la charité — l’essentiel des missions civiles de l’Etat. Ainsi, le budget consacré à la couverture médicale des indigents serait réduit de… 78 % (2). (...)
Une fois de plus, un système verrouillé par deux partis rivalisant de faveurs accordées aux milieux d’affaires va contraindre des millions d’Américains découragés par la mollesse de leur président à revoter néanmoins pour lui. Ils se résigneront alors au choix, habituel aux Etats-Unis, entre le mal et le pire. Leur verdict ne sera toutefois pas sans conséquence ailleurs : la victoire d’un Parti républicain déterminé à anéantir l’Etat social, indigné par l’« assistanat », installé à la remorque des fondamentalistes chrétiens et porté à la paranoïa par la haine de l’islam galvaniserait une droite européenne déjà démangée par de telles tentations.