« Lettre à la direction du CHU de Grenoble Alpes concernant la situation catastrophique en gériatrie (Soins de Longue Durée et EHPAD)
Ceci est un cri d’alarme, un cri de désespoir, car nous n’avons plus le temps. Nous n’avons plus le temps de soigner ni de prendre soin, nous n’avons plus le temps d’exercer notre métier. En tant que soignants, nous sommes en première ligne. Nous subissons nous même et voyons les patients subir les conséquences délétères de la politique du chiffre qui est menée partout au CHU. L’EHPAD et le SLD sont des lieux de vie, les gens qui y vivent y subissent au quotidien, et ce jusqu’à leur mort, les conséquences de cette politique gestionnaire.(...)
Régulièrement, mes collègues se retrouvent seul infirmier·ère pour 40 résidents. Avez-vous une idée de ce que cela signifie de travailler dans ces conditions ? A l’aide d’un calcul simple on se rend compte que, sur un service de 7 h30, une fois retirées les 30 minutes de transmissions orales, il ne reste à l’ infirmier·ère que 10,5 minutes par patient.
Mais ces 10,5 minutes ne sont même pas du temps de présence consacré à chaque patient, car il faut déduire le temps que l’infirmier·ère passe à : Vérifier les prescriptions, piler les médicaments si nécessaire (environ 1/4 des patients), valider les actes dans le logiciel, faire les transmissions avec le médecin, préparer les perfusions, faire les transmissions écrites, gérer les imprévus, répondre au téléphone et aux familles, ranger la pharmacie, etc.
La situation des aides-soignants es n’est pas plus enviable, d’autant plus que si l’ infirmier·ère n’a que peu de temps pour réaliser les soins qui lui sont propres alors il/elle n’en n’aura pas pour réaliser les soins d’hygiène et de confort avec les aides-soignants es.
Les conséquences de ce manque de temps sur les patients ? De la douleur et de la souffrance provoquées par des gestes trop rapides des soignants, une douche par semaine au mieux, des pansements non renouvelés à temps, des escarres qui se développent par manque de temps avec les patients pour les mobiliser, des résidents réveillés très tôt pour pouvoir finir nos tours de soin, au détriment de leur santé et de leur confort, des pertes d’autonomie accélérées par manque de temps pour les accompagner dans les gestes de la vie quotidienne, gestes qu’on fait à leur place pour gagner du temps. Pour aller toujours plus vite, on les rend grabataires. Même d’un point de vue purement comptable cela n’a pas de sens : une fois grabataires, ces patients nécessitent encore plus de temps et de moyens. (...)
Le jour où il y aura des morts, des morts prématurées, chez les patients comme chez le personnel, ce jour-là il faudra assumer, c’est à dire répondre de vos actes et en accepter les conséquences. Je dis cela non comme une menace mais comme une triste prémonition d’une
conséquence de la politique actuelle.
Aujourd’hui quelques voix se lèvent mais globalement pourquoi ça continue de tourner ? Tout simplement parce que les principaux intéressés n’osent rien dire :
– Les patients sont bien souvent trop faibles pour dire quoi que ce soit et quand bien même : seraient-ils entendus ?
– Les familles quant à elles, se plaignent régulièrement auprès des soignants mais ne vont pas plus haut dans la hiérarchie, et de toute façon, ont elles d’autres choix : qui est capable d’assumer à domicile un parent grabataire ? L’institution est pour eux la seule solution.
– Enfin, les soignants : complices malgré eux, ont bien souvent honte ou alors sont résignés. Epuisés par les efforts permanents qui leurs sont demandés (finir en retard, faire des heures supplémentaires, revenir sur les jours de repos, travailler en 12h, faire des « soirs-matins »…) et lorsque la colère éclate, malheureusement elle ne dépasse que rarement les murs des offices de soin.
Aujourd’hui si je vous écris cette lettre, c’est parce que je ne me reconnais plus dans la soignante que l’institution me force à être et je ne supporte plus l’impact que cela a sur ma vie. (...)