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Système carcéral : une question centrale
Article mis en ligne le 29 septembre 2019
dernière modification le 28 septembre 2019

Des débats portés par les Gilets jaunes aux colonnes des journaux de toute obédience, la question carcérale se fait discrète. Loin d’être un sujet annexe, la façon dont on enferme révèle pourtant bien des choses sur les tonalités totalitaires d’une société. Examen d’une machine à broyer.

Le mouvement des Gilets jaunes a fort légitimement abordé la question de sa répression. En première ligne des critiques, les violences policières qui ont émaillé les cortèges. En arrière-fond, moins dénoncé, le déferement des milliers d’interpellés devant les tribunaux, qui a pourtant levé le voile sur une justice de classe expéditive, usant et abusant des comparutions immédiates pour condamner à tour de bras des prévenus à l’origine sociale fortement défavorisée. Mais une fois de plus, la question carcérale est restée relativement absente de la réflexion globale.

Or la prison n’est pas en dehors de la société : elle est son miroir grossissant. Le régime politique s’y met à nu. On a beau les cacher derrière de hauts murs, toujours plus loin en périphérie, en prétextant qu’il s’agit d’un mal nécessaire, les geôles ne disparaissent pas pour autant ! Et il faudra bien caser leur remise en cause à l’ordre du jour si l’on prétend vouloir changer ce monde.

De la casse sociale à la case prison

La situation actuelle n’est pas une dérive, mais une continuité. Dans la lignée de ses prédécesseurs, toutes couleurs confondues, Emmanuel Macron poursuit l’adaptation de l’appareil répressif à l’évolution du capitalisme. Alors que les réformes du code du travail et de l’assurance chômage entraîneront inévitablement un développement de la délinquance et de la révolte, la France pulvérise chaque année son record d’incarcérations. (...)

Bien loin de l’image généralement véhiculée par les médias, construite sur des faits-divers spectaculaires, les prisons sont avant tout peuplées de petits voleurs, dealers, récalcitrants, issus des classes populaires et alternant petits boulots et périodes de chômage, survivant au quotidien par la débrouille. Sauf qu’il y a un ordre à faire respecter et le meilleur des mondes à protéger : il faut donc en passer par un mélange de répression et de discrimination. Ainsi, il n’existerait plus de causes sociales et politiques à la délinquance ou aux mouvements sociaux. Les inadaptés n’ont qu’a bien se tenir et arrêter de s’attrouper. (...)

Si la moitié des peines assénées par les juges n’excèdent pas un an, de plus en plus d’actes, de mots et d’intentions deviennent des délits passibles d’enfermement. Ce qui relevait encore récemment d’une simple contravention vaut aujourd’hui des peines de prison fermes (...)

En parallèle, les longues peines s’allongent. (...)

Abolie, la peine de mort ? Non, juste remplacée par la peine jusqu’à la mort.

S’il y a de plus en plus de prisonniers, c’est aussi parce que prévenus et condamnés restent de plus en plus longtemps en prison. (...)

Réforme après réforme, les conditions de détention se dégradent, les remises de peines fondent, les activités à l’intérieur se raréfient, l’isolement progresse, les peines s’allongent. Le travail est rare et relève de l’exploitation (lire p. X), les soins sont indigents, les recours inopérants, les violences de l’institution couvertes… Dans certaines prisons, les deux promenades légales quotidiennes ne sont même plus assurées et ce sont des matelas à terre qui accueillent les nouveaux arrivants. (...)

Malgré l’indifférence et l’extrême répression, les prisonniers continuent de se révolter contre ces conditions de vie insoutenables. (...)

l’individualisation, l’atomisation et l’isolement sont des armes terribles pour briser, anéantir, étouffer toute volonté individuelle ou collective de résistance. Les pouvoirs autoritaires en usent pour garantir leur pérennité et leurs profits en détruisant la possibilité même de changement. Le parallèle avec le monde extérieur est vite tiré : dans la rue ou derrière les barreaux, il s’agit de cadenasser les possibles. (...)

L’isolement carcéral, véritable torture blanche, s’est généralisé depuis les années 1980 en s’adaptant à la dangerosité supposée des personnes détenues. (...)

Versant courtes peines, l’opacité est aussi de mise. D’autant que l’État est confronté à un problème majeur : comment gérer à moindre coût la multiplication et l’allongement des peines ? Rien ne sert de condamner si la condamnation n’est pas effectuée, sachant que les 7 000 nouvelles places des prisons que le gouvernement prévoit de construire n’y suffiront pas. D’où la nécessité de développer de nouvelles formes d’enfermement aussi efficaces que les murs : la prison dehors. (...)

Résultat ? Le nombre de personnes placées sous le contrôle de l’État explose sans pour autant faire baisser le nombre de détenus et détenues. L’enfermement hors les murs, avec ou sans bracelet électronique, pourrait bien, si l’on n’y prend garde, faire de notre société tout entière une prison. Plus que jamais, la critique du système carcéral est le corollaire indispensable de la critique de la société qui le produit.