Oiseaux, papillons, plantes sauvages… les programmes de science participative se multiplient en France. Grâce aux observations réalisées par les bénévoles, les scientifiques mènent des recherches impossibles autrement. Enjeu de fond : protéger la biodiversité.
Il est à peine plus de 9 h, lundi 14 mars, dans le parc forestier de la Poudrerie de Sevran (Seine-Saint-Denis). Seuls quelques cris et chants d’oiseaux troublent le silence qui règne sous les arbres dénudés. Chaussures de randonnée aux pieds, emmitouflée dans une polaire bien chaude, Francine Legris, 63 ans, se dirige vers le canal de l’Ourcq. Le joli chemin de halage à fleur d’eau n’est que la première étape d’un parcours de deux bonnes heures.
Cette habitante de Tremblay-en-France participe au programme Observ’acteur. Lancé en 2009 par le conseil général de Seine-Saint-Denis, il invite les habitants à verser leurs clichés légendés de la faune et de la flore observées dans la base de données de l’Observatoire départemental de la biodiversité urbaine (Odbu). Mais pour Mme Legris, les sciences participatives, c’est-à-dire la collecte de données naturalistes par des citoyens pour alimenter des programmes de recherche scientifiques, « c’est toujours et avant tout une promenade ». (...)
À 500 kilomètres de là, Jean-Pierre Leroux, retraité de 67 ans, se livre à un exercice similaire dans le jardin de sa maison de Trignac (Loire-Atlantique). En 2011, il découvre l’Observatoire des papillons des jardins (OPJ), qui incite les jardiniers à compter le nombre de papillons de 46 espèces communes (piérides blanches, citrons, amaryllis, etc.) et à renseigner leurs pratiques de jardinage. (...)
Observ’acteur et l’OPJ sont deux des nombreux projets de sciences participatives en lien avec la biodiversité actuellement menés en France. Le « suivi temporel des oiseaux communs » (Stoc), premier-né des observatoires citoyens, a vu le jour en 1989 à l’initiative du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Le Stoc s’adresse à des naturalistes expérimentés, qui participent déjà à des opérations de baguage des oiseaux. (...)
Quel est l’intérêt pour les scientifiques ? « Les chercheurs en macroécologie ont besoin de gros jeux de données pour dégager des corrélats », explique Grégoire Loïs. Problème, ils n’ont ni le temps, ni les moyens, ni les effectifs suffisants pour récolter eux-mêmes les centaines de milliers d’observations nécessaires. « Prenons l’exemple des insectes pollinisateurs, poursuit le coordinateur de Vigie nature. On a plusieurs milliers d’espèces, de groupes distincts. Et très peu de spécialistes qui se consacrent uniquement à tel groupe de coléoptères, tel groupe d’hyménoptères... Impossible de travailler massivement sur tous les pollinisateurs en restant entre scientifiques. »
Un puissant levier de sensibilisation des citoyens
Les observateurs bénévoles offrent donc bien plus qu’un coup de pouce aux programmes de recherche scientifiques. (...)
Le Muséum s’est également intéressé aux raisons de la participation. « On retrouve le plaisir de pratiquer une activité en lien avec la nature, la satisfaction d’augmenter ses connaissances et la fierté de participer à un programme scientifique, énumère Mme Dozières. Mais la motivation la plus forte est de participer à un projet qui aide à protéger la biodiversité. » (...)
Les sciences participatives entraînent parfois de réels changements de pratiques chez les participants. Une enquête réalisée dans le cadre de l’OPJ montre que « si 80 % des participants utilisent des pesticides dans leurs jardins la première année d’observation, ils ne sont plus que 45 % au bout de trois ans », rapporte Mme Dozières. Pour accompagner cette démarche, Noé conservation a lancé la campagne Jardins de Noé, qui propose 10 gestes pour accueillir la biodiversité dans son jardin : implanter une prairie fleurie naturelle, limiter l’éclairage nocturne, n’utiliser que des produits naturels, etc. Près de 4.100 jardins sont déjà inscrits.
Pour faire tache d’huile, les associations misent sur l’animation de leurs réseaux d’observateurs (...)
Reste à partager, organiser et structurer toutes ces bonnes pratiques. En 2012, s’est créé un Collectif national des sciences participatives-biodiversité, coanimé par la Fondation Nicolas Hulot et l’Uncpie. Il regroupe une vingtaine d’acteurs et de porteurs de projets, parmi lesquels le MNHN, la Ligue pour la protection des oiseaux, Noé et Tela Botanica. « L’objectif est de s’arrêter un peu, d’identifier la multiplicité des programmes, explique Caroline Joigneau-Guesnon, de l’Uncpie. Cela permettrait d’en démultiplier l’impact. »