
les risques pour la santé mentale engendrés par les conditions de travail sont connus, et leurs effets sont visibles par l’accroissement constant du nombre de pathologies psychiques et de suicides en lien avérés avec le travail. Or si l’on retient les pathologies psychiques et les suicides « reconnus imputables au service » par l’administration cette réalité semble pourtant contredite. Pourquoi ?
« La gestion des risques professionnels est un sujet de gouvernance, d’arbitrage et de stratégie » (Medef)
Quelle est donc en réalité cette « stratégie » dont parle le Medef, et de quelle manière est-elle mise en œuvre aussi dans la fonction publique ?
Notre association, qui agit depuis 10 ans auprès de fonctionnaires et de leurs ayants droits, victimes de ces risques « psychosociaux » et suicides, afin de reconnaître imputables au services ces pathologies et suicides, peut à partir de cette expérience mettre en lumière les stratégies mise en œuvre par les administrations pour organiser le silence et le déni. Nous ne parlerons ici que de la question des suicides (et tentatives de suicide), les pathologies psychiques relèvent des mêmes stratégies mais les processus d’imputabilité se présentent différemment.
Première étape, l’invisibilité :
Pourquoi, alors que les syndicats, les CHSCT, les experts en santé et travail, des médecins du travail, des inspections du travail, les associations, ne cessent d’alerter sur l’accroissement inquiétant du nombre de suicides, leur nombre officiellement reconnu par l’administration ne traduit pas cette évidence ?
Le premier acte d’invisibilité consiste tout simplement à ne pas publier le nombre de suicides, qu’ils soient reconnus imputable ou pas.
Certains pourraient penser que publier le nombre de fonctionnaires qui se suicident ne dirait rien sur les causalités professionnelles. On pourra objecter que ne pas rechercher de liens possibles conduit effectivement à ne rien pouvoir dire. (...)
Le second acte d’invisibilité consiste à refuser de rechercher tout lien possible avec le travail :
En réalité, depuis l’arrêt du conseil d’Etat du 15 juin 2012 la fonction publique applique désormais le droit de la sécurité sociale concernant les suicides survenus sur le temps et le lieu de travail, en leur accordant la présomption d’imputabilité. On verra plus loin que cela n’empêche pas l’administration, dans le cadre d’une stratégie de déni, de refuser malgré tout d’accorder cette reconnaissance.
De plus, la majorité des suicides liés au travail, se produisent hors du lieu de travail. Cela permet à l’administration d’imputer ces décès à des causes personnelles (...)
Or, en regroupant les multiples sources disponibles (associatives, médiatiques, syndicales, INVS,) le nombre de suicides rien que dans la fonction publique d’Etat atteindrait des chiffres effarants :
Ils seraient de :
- 39 pour 100.000 chez les enseignants
- 25 pour 100.000 au ministère de l’équipement
- 35 pour 100.000 chez les policiers en 2018 (58 pour 100.000 en 2017, 8 suicides depuis le 1er janvier 2019)
- 31 pour 100.000 dans la gendarmerie et 58 pour 100.000 tentatives de suicide
- 60 pour 100.000 chez gardiens de prisons
- 22 pour 100.00 dans les impôts et les douanes
- Sans compter les suicides à France télécom, la poste, aux affaires étrangères …
Rappelons qu’en France, le taux de suicides est de 14,9 pour 100.000 habitants (...)
Ces chiffres ne sont bien sûr qu’un reflet de la réalité, le nombre réel est inconnu et tous ces suicides n’ont pas forcément un lien avec le travail, mais en annonçant un taux de 1 pour 2,4 millions, l’administration n’a vraiment pas peur du ridicule !
Toutefois, il convient de dire ici que ce genre de statistique ne reflète pas toute la réalité du risque au travail. Lorsque qu’un seul suicide se produit à cause du travail, cela montre un problème de travail, et cela signifie que d’autres salariés sont aussi exposés aux mêmes risques pour leur santé psychique. Et donc quand bien même la statistique au sein d’une entreprise serait inférieure à la « moyenne nationale », cela ne signifierait pas que les risques n’existent pas[1].
Le troisième acte d’invisibilité réside dans la persistance à refuser de créer un tableau de maladies professionnelles concernant les pathologies psychiques. (...)
« La gestion des risques professionnels est un sujet de gouvernance, d’arbitrage et de stratégie » (Medef)
Quelle est donc en réalité cette « stratégie » dont parle le Medef, et de quelle manière est-elle mise en œuvre aussi dans la fonction publique ?
Notre association, qui agit depuis 10 ans auprès de fonctionnaires et de leurs ayants droits, victimes de ces risques « psychosociaux » et suicides, afin de reconnaître imputables au services ces pathologies et suicides, peut à partir de cette expérience mettre en lumière les stratégies mise en œuvre par les administrations pour organiser le silence et le déni. Nous ne parlerons ici que de la question des suicides (et tentatives de suicide), les pathologies psychiques relèvent des mêmes stratégies mais les processus d’imputabilité se présentent différemment.
Première étape, l’invisibilité :
Pourquoi, alors que les syndicats, les CHSCT, les experts en santé et travail, des médecins du travail, des inspections du travail, les associations, ne cessent d’alerter sur l’accroissement inquiétant du nombre de suicides, leur nombre officiellement reconnu par l’administration ne traduit pas cette évidence ?
Le premier acte d’invisibilité consiste tout simplement à ne pas publier le nombre de suicides, qu’ils soient reconnus imputable ou pas.
Certains pourraient penser que publier le nombre de fonctionnaires qui se suicident ne dirait rien sur les causalités professionnelles. On pourra objecter que ne pas rechercher de liens possibles conduit effectivement à ne rien pouvoir dire.
Connaître le nombre de déclarations (demande d’imputabilité) renseignerait déjà sur la probabilité, car si les ayants droit sollicitent cette imputabilité c’est qu’ils possèdent une conviction, et cette conviction s’appuie sur des faits et non sur des sentiments, notre association peut en témoigner. Mais il est impossible d’en connaître le nombre, pas plus que le nombre de suicides « reconnus ».
Le second acte d’invisibilité consiste à refuser de rechercher tout lien possible avec le travail :
En réalité, depuis l’arrêt du conseil d’Etat du 15 juin 2012 la fonction publique applique désormais le droit de la sécurité sociale concernant les suicides survenus sur le temps et le lieu de travail, en leur accordant la présomption d’imputabilité. On verra plus loin que cela n’empêche pas l’administration, dans le cadre d’une stratégie de déni, de refuser malgré tout d’accorder cette reconnaissance.
De plus, la majorité des suicides liés au travail, se produisent hors du lieu de travail. Cela permet à l’administration d’imputer ces décès à des causes personnelles (comme on le verra aussi plus loin), en refusant systématiquement de se poser la moindre question sur le plan du travail. Et tout aussi systématiquement d’en refuser l’imputabilité lorsque les ayants droits en font la demande.
Cela permet donc de rendre invisible la mortalité liée au travail dans la fonction publique ; en effet, la CNRACL (pour les fonctions publiques territoriales et hospitalière) ne fait toujours pas apparaître le nombre de suicides reconnus imputables au service dans ses statistiques et n’indiquent même pas le nombre d’accidents mortels quelles qu’en soit la cause. Quant à la DGAFP (pour la fonction publique d’Etat) dont la dernière statistique publiée porte sur l’année 2015, elle ne fait apparaître qu’un seul suicide reconnu en AT (dans la police) pour toute la fonction publique d’Etat soit 2.398.031 salariés…
Or, en regroupant les multiples sources disponibles (associatives, médiatiques, syndicales, INVS,) le nombre de suicides rien que dans la fonction publique d’Etat atteindrait des chiffres effarants :
Ils seraient de :
39 pour 100.000 chez les enseignants
25 pour 100.000 au ministère de l’équipement
35 pour 100.000 chez les policiers en 2018 (58 pour 100.000 en 2017, 8 suicides depuis le 1er janvier 2019)
31 pour 100.000 dans la gendarmerie et 58 pour 100.000 tentatives de suicide
60 pour 100.000 chez gardiens de prisons
22 pour 100.00 dans les impôts et les douanes
Sans compter les suicides à France télécom, la poste, aux affaires étrangères …
Rappelons qu’en France, le taux de suicides est de 14,9 pour 100.000 habitants (10,7 pour les 25/54 ans) selon l’observatoire national du suicide. La mortalité routière qui est de 5,18 pour 100.000 habitants est pourtant qualifiée à juste titre de « fléaux national » par ceux là même qui dirigent la fonction publique d’Etat et qui organisent l’omerta sur les suicides en son sein alors que ceux-ci y sont 4 à 12 fois plus nombreux
Ces chiffres ne sont bien sûr qu’un reflet de la réalité, le nombre réel est inconnu et tous ces suicides n’ont pas forcément un lien avec le travail, mais en annonçant un taux de 1 pour 2,4 millions, l’administration n’a vraiment pas peur du ridicule !
Toutefois, il convient de dire ici que ce genre de statistique ne reflète pas toute la réalité du risque au travail. Lorsque qu’un seul suicide se produit à cause du travail, cela montre un problème de travail, et cela signifie que d’autres salariés sont aussi exposés aux mêmes risques pour leur santé psychique. Et donc quand bien même la statistique au sein d’une entreprise serait inférieure à la « moyenne nationale », cela ne signifierait pas que les risques n’existent pas[1].
Le troisième acte d’invisibilité réside dans la persistance à refuser de créer un tableau de maladies professionnelles concernant les pathologies psychiques. En effet ces pathologies conduisent souvent à la mort, notamment par suicide, c’est particulièrement le cas pour les dépressions réactionnelles professionnelles. Le suicide survient alors que le salarié est en arrêt maladie, ou en congé longue durée parfois depuis de longs mois ou années, parfois en retraite. Son décès passe alors totalement inaperçu du point de vue du service.
L’invisibilité n’est donc pas le fruit du hasard ou de l’incompétence, elle relève bien d’une stratégie organisée par les administrations, les pouvoirs publics (conseil départementaux, préfectures), les ministères, et mise en œuvre à tous les échelons de l’administration.
Le suicide lié au travail : un lien direct, mais non nécessairement exclusif
De très nombreuses études portent sur la question du suicide en général et du suicide en lien avec le travail. Toutes concluent au fait que le suicide est toujours le résultat d’une multiplicité de causes.
Notre association ASD-Pro examine pour chaque suicide d’un salarié et pour lequel nous avons été sollicité par ses ayants droit, si il existe un lien avec son travail. Nous recherchons ce lien à partir de la reconstruction de son parcours de santé au travail. Et ceci en dehors de toute autre cause possible dont nous n’ignorons pas qu’elles puissent exister mais qui ne présentent aucun intérêt dans la recherche de ce lien.
En effet, et contrairement à ce que prétendent à l’unisson les employeurs, les commissions de réformes, les DRH et autres responsables administratifs : pour qu’un suicide hors lieu de travail soit reconnu en accident du travail il suffit qu’il soit établi un « lien direct » avec le travail, et non pas un lien « direct et unique » ou exclusif. (...)
il s’agit bien avant tout d’une stratégie de déni de droit.
Elle permet aux administrations de s’appuyer sur ces « avis » des commissions de réforme afin de refuser l’imputabilité au service de tout accident survenu en dehors du lieu et temps de service, et particulièrement les suicides.
Sachant de plus, que les recours devant les tribunaux administratif conduisent à des délais hors normes (de 2 à 5ans), pouvant aller jusqu’à 10 ans si l’administration persiste dans son déni en usant de tous les recours jusqu’au conseil d’Etat. L’objectif est alors de décourager les ayants droits.
La volonté de rendre invisible les effets délétères du travail, le refus de publier le nombre de suicides et le nombre de saisines des commissions de réforme. L’obstination à ignorer toutes les jurisprudences refusant de ce fait l’application du droit pour les victimes et leurs ayants droit. Tout cela fait partie d’une stratégie élaborée, mise en œuvre à tous les échelons de la fonction publique : celle du déni.
deuxième étape : L’organisation du déni (...)
malgré la quantité impressionnante d’études, de rapports, de « plans », de « guides », etc… l’administration minimise toujours l’existence des risques psychosociaux auxquels les fonctionnaires sont confrontés, préférant reporter ces risques pour la santé mentale à des comportements individuels ou d’hygiène de vie !
Mais le déni du risque n’a jamais empêché que des accidents surviennent et lorsque c’est le cas, soit ils donnent l’occasion de sortir du déni, soit se déploie alors d’autres phases du déni. C’est malheureusement cette seconde voie qu’a choisit l’administration.
Le déni du risque pris, du danger auquel a été confronté un salarié, n’est pas organisé comme méthode de défense, mais comme unique réponse à la double injonction faite à ces administrations : elles se doivent de fonctionner en « mode dégradé » (manque de moyens humains et matériels), et en même temps, assurer la qualité de service et la sécurité des salariés. En cas de « raté », il appartient aux responsables d’éviter coûte que coûte que cette organisation volontairement dégradée ne soit mise en cause.
Il est donc stratégiquement nécessaire pour les directions de nier le rapport au travail lorsqu’un événement (accident du travail, maladie professionnelle) se produit et d’autant plus fermement lorsqu’il relève d’une atteinte psychique.
Reconnaître qu’un suicide est lié au travail, ce serait devoir s’engager dans des mesures qui remettent en cause l’organisation de travail et les décisions politiques qui ont amené à cette organisation. Les seuls événements visibles tolérés seront ceux que l’on pourra attribuer aux « risques du métier » et dont on s’arrangera si possible à en attribuer la responsabilité à « l’erreur humaine », voire la « faute personnelle » (...)
Pour que ce déni fonctionne, il doit être soigneusement organisé dans tous les services et à tous les niveaux, il traverse ainsi l’ensemble des rapports sociaux quel que soit le lieu ou le service concerné. Et gare à ceux qui ne s’y plieraient pas !
Le déni s’organise alors en plusieurs moyens menés simultanément :
RECHERCHER les causes personnelles, externes au travail :
Tous les salariés, du privé comme du public, peuvent en témoigner : lorsque le suicide d’un collègue se produit, que ce soit sur le lieu de travail ou en dehors ; la réaction immédiate de la direction est : « il avait des problèmes personnels », cette affirmation est lancée avant même de savoir si, effectivement, il en avait. Mais qu’importe, le but est avant tout d’exonérer le travail de toute cause possible et le plus rapidement possible.
Une autre stratégie consiste à tenter d’expliquer le geste fatal par de prétendues attitudes inappropriées, une incompétence caractérisée, un entêtement à refuser tout soutien psychologique, etc… Tout ça dans le but de démontrer qu’il n’y avait « aucun problème lié au travail », et que c’est la victime elle–même qui s’en créait et refusait l’aide proposée. A partir de là, la stratégie de « psychologisation » est lancée.
Cela commence souvent par la mise en place d’une « cellule psychologique » pour aider les collègue à faire le deuil, mais surtout les aider à adhérer à la théorie de la fragilité personnelle. (...)
EVITER la présomption d’imputabilité : un déni de Droit.
Si le suicide a eu lieu sur le lieu de travail ET durant les horaires de travail, il bénéficie depuis l’arrêt du conseil d’Etat de 2012, de la présomption d’imputabilité. Ce qui n’empêche pas l’administration de refuser de l’appliquer dans bien des situations. (...)
si le suicide s’est produit hors du lieu de travail : ce sera aux ayants droit de demander l’imputabilité. Dans cette situation l’administration doit alors saisir la commission de réforme.
A la différence du régime général où c’est une structure externe à l’entreprise et donc indépendante de l’employeur (la CRAM) qui décide de la reconnaissance, dans la fonction publique c’est l’employeur qui décide de l’imputabilité. Il est en somme juge et partie. (...)
Tout cela fait partie d’une organisation voulue et assumée du déni des risques.
TOUT FAIRE POUR EMPECHER DE PARLER DU TRAVAIL ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL
Ecarter le CHSCT par de pseudos groupes de travail, contester les demandes d’expertises ou d’enquêtes administratives, accuser le CHSCT et ses membres de vouloir faire de la « récupération », imposer une « omerta » justifiée par le « respect de la mémoire » de la victime, refuser la transmission de l’enquête de l’inspection du travail lorsqu’une telle enquête a été faite …
DECOURAGER LE SYNDICATS ET OBTENIR AINSI LEUR ADHESION IMPLICITE A CE DENI
Il convient de noter toutefois, qu’à notre plus grand regret, notre association a souvent rencontré des syndicats qui, par ignorance ou désintérêt, ne se préoccupent pas de ces procédures de réparation ATMP. Ce désintérêt ne constitue pas une adhésion au déni, mais il y participe car n’étant pas confrontés à ces moyens de déni ici recensés, ils laissent à l’administration les mains libres pour les mettre en oeuvre.
Mais il se trouve aussi que la stratégie d’adhésion à la « fragilité personnelle » peut trouver des échos favorable y compris chez des militants syndicaux qui renoncerons alors à s’engager dans le recherche d’un lien professionnel ; apportant ainsi leur contribution (inconsciente ou volontaire) au déni. Cette adhésion se construit grâce à ces pseudos groupes de travail RPS que nous avons vu précédemment.
Il conviendra de noter, par contre, que lorsque les militants syndicaux s’engagent dans ces processus de reconnaissance en mettent en lumière le lien direct entre le travail et le suicide et en dénonçant les stratégies de déni de l’administration, ils se retrouvent alors face à une campagne de dénigrement, de mise à l’écart allant parfois jusqu’à la discrimination syndicale, où même jusqu’à l’organisation de véritables « cabales » à leur encontre.
Comme nous le disons plus haut : gare à ceux qui s’opposent au déni ! Tout le monde est invité à s’y soumettre, y compris les syndicats.
MULTIPLIER TOUS LES RECOURS POSSIBLES POUR DECOURAGER LES AYANTS DROITS (...)
FAIRE PRESSION SUR LES MEDECINS POUR LES EMPÊCHER DE DELIVRER DES CERTIFICATS
Avec la complicité du Conseil National de l’Ordre des médecins, les employeurs organisent désormais une chasse aux sorcières contre tous les médecins qui auraient l’outrecuidance de délivrer des certificats faisant état du lien santé-travail. Organiser le déni nécessite aussi d’organiser le silence. Et malheureusement de nombreux médecins se plient à cette injonction.
DILIGENTER UNE EXPERTISE « POST MORTEM », POUR METTRE L’ACCENT SUR LE PSYCHISME individuel (...)