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Stop ! Mon corps ne vous appartient pas !
par Ndella Paye
Article mis en ligne le 28 mars 2015

C’est le mois de mars, un mois pendant lequel, en tant que femme, noire, musulmane, je dois célébrer certaines journées : d’abord le 8, qui est la journée internationale du droit des femmes, puis le 15, triste anniversaire du vote de la loi du 15 mars 2004 excluant de l’école publique les filles qui portent le foulard, et enfin le 21 qui est la journée internationale contre le racisme...

Nous sommes le 14 mars 2015, une semaine après le 8 mars, journée internationale du droit des femmes et veille du onzième anniversaire du vote de la loi du 15 mars 2004. Je décide d’aller, avec une amie, au festival du film de femmes de Créteil voir Je ne suis pas féministe, mais…, un film de Florence et Sylvie Tissot sur le parcours de la féministe Christine Delphy. J’y vais, toute contente, pensant que ce serait un espace safe (sûr) pour moi. En effet, Sylvie et Christine sont des copines militantes féministes avec qui j’ai lutté en 2004 contre l’exclusion de l’école des jeunes filles portant le foulard. J’étais donc à mille lieues de me douter que je subirais là encore une violence venant de femmes, qui se disent féministes.

Il faut rappeler qu’une semaine plus tôt ce film devait être projeté à la mairie du vingtième arrondissement de Paris, et suivi de débats prévus sur plusieurs jours, mais que la maire de l’arrondissement a annulé l’ensemble de ces présentations. Je devais intervenir à l’un des débats programmés. En revanche, pour Créteil, je ne pensais vraiment pas qu’il pouvait y avoir de problème parce que trois femmes portant le foulard assistent à la diffusion du documentaire, puis au débat.

J’arrive un peu en retard et rate le début du film. Le parcours de Christine est applaudi tout au long de la diffusion, et jusqu’à la fin où elle dénonce la loi sur le foulard. Christine, Florence et Sylvie sont ovationnées. On nous demande de nous diriger vers la salle où aura lieu le débat. Je réagis la première lorsque la parole est donnée à la salle, pour témoigner toute ma reconnaissance à Christine qui est une amie avec qui j’échange assez régulièrement et qui m’a beaucoup apporté dans mes combats de femme. Je tenais à lui rendre hommage pour le courage de son engagement contre l’exclusion des filles de l’école. Je ne pensais pas que mon intervention aller cristalliser les débats autour du foulard.

Une première femme s’indigne et accuse « le foulard » (il faut dire que les femmes portant le foulard ne sont plus que des voiles ambulants aux yeux de beaucoup…) de remettre en cause les luttes menées par les « garçonnes » des années 20 qui coupaient leur cheveux très court et revendiquaient le droit de s’habiller plus court.

Plusieurs autres interventions pointent du doigt le foulard jusqu’au moment où une femme tente de faire le parallèle entre le foulard et le mariage, considérés tous deux comme des symboles de domination de la femme. Elle est elle-même mariée et se voit accusée de soumission à l’ordre patriarcal : elle qui est féministe, comment peut-elle se marier et rester cohérente avec les idées d’égalité qu’elle véhicule ? Elle invite les féministes à accepter que des femmes puissent se marier ou porter le foulard, sans être forcément considérées comme soumises, et elle rappelle, comme le dit Christine dans le film, que nous sommes toutes traversées par des contradictions.

Mais le cauchemar n’est pas fini. (...)

Les injonctions que l’on reçoit s’adressent exclusivement à celles dont on doute qu’elles soient féministes, à celles qui ne peuvent tout simplement pas être féministes : les femmes voilées, les musulmanes.

Me voilà projetée à nouveau dix ans en arrière pendant les manifestations du 8 mars 2004. Des « féministes » nous demandaient, à nous qui portions le foulard, si nous étions pour ou contre l’avortement, pour ou contre l’égalité des hommes et des femmes, nos positions sur l’homosexualité et j’en passe. Nous devions prouver que nous étions féministes, mais quelle que soit la réponse que nous leur apportions, le fichu sur notre tête nous disqualifiait d’office. On ne peut pas être féministe et porter le foulard : une féministe doit exhiber son corps, elle doit renoncer à sa foi.

Je n’ai pourtant jamais entendu des féministe remettre en question le fait qu’un président de la République ne montre que sa tête, que les différents ministres hommes de la République montrent très peu de leur corps. Non, ça, ça ne dérange personne. Il en est de même des journalistes hommes, cela ne pose problème à aucune féministe qu’ils n’exhibent pas leur corps. Pourquoi exiger de moi que j’enlève mon foulard parce que certaines ont lutté pour se dénuder ? En quoi ce bout de tissu que j’ai sur ma tête remet en cause des années de luttes de femmes ? En fait, ce que ces femmes nous disent depuis plus de dix ans c’est :

« Votre corps nous appartient ».

Comment peut-il en être ainsi pour des femmes qui luttent depuis des décennies pour s’approprier leur corps ? (...)