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Souvenons-nous de la bataille antifasciste de Wood Green
Article mis en ligne le 1er mai 2022
dernière modification le 30 avril 2022

Angleterre. Dans les mines, les grèves s’enchaînent — l’une d’elles pousse, en 1974, le Premier ministre à anticiper des élections, qui lui feront perdre son siège. Au même moment, un nouveau parti, créé en 1967, aspire à dynamiter l’alternance politique britannique entre conservateurs et travaillistes. Son nom : le National Front. Son crédo : un fascisme à peine déguisé. À mesure que les scores s’améliorent dans les scrutins locaux et nationaux, les partisans du National Front s’affichent toujours plus ostensiblement dans les rues. À Londres, il est désormais fréquent de les voir défiler en nombre dans les quartiers multiculturels de la ville. Mais, le 23 avril 1977, dans le quartier de Wood Green, une coalition s’y oppose frontalement : un moment historique de l’antifascisme britannique et, bientôt, le début du déclin du parti. Le journaliste Luke Savage en a fait le récit, que nous traduisons.

Dans les années 1970, la mouvance fasciste britannique gagne en puissance. Diverses factions d’extrême droite se sont rassemblées en 1967 sous la coupe de A.K. Chasterton — lui-même vétéran de la British Union of Fascists d’Oswald Mosley, en tout point favorable au nazisme — pour s’unir et former le National Front (NF) : une nouvelle force électorale homogène qui prend rapidement de l’ampleur dans les décennies suivantes. Que ce soit aux élections locales ou nationales, le National Front obtient des résultats inquiétants : il rassemble plus de 16 % des votes lors d’une élection partielle pour la circonscription de West Bromwich, dans le West Midlands et enregistre près de 114 000 voix l’année suivante aux élections législatives. C’est à Londres, toutefois, que le parti fait son incursion la plus menaçante. Lors des élections municipales de 1977, le National Front obtient une part importante des suffrages dans plusieurs arrondissements [boroughs], parmi lesquels Bethnal Green (19,2 %), Hacket South (19 %) et Stepney (16,4 %) — des résultats suffisamment importants pour qu’un journaliste du Guardian, Martin Walker, en vienne à envisager dans un livre paru en 1977 sur le parti et son évolution, que le National Front pourrait « brutalement conquérir le pouvoir ».

De façon inquiétante, la Grande-Bretagne semble alors constituer un terrain favorable à de tels événements. Entre une austérité punitive (qui n’est rien d’autre que l’œuvre d’un gouvernement travailliste), les salaires incertains et les propos racistes sur la race et l’immigration, largement inspirés d’Enoch Powell [ancien ministre élu député en 1974, ndlr], tenus dans tout le pays, le discours xénophobe du National Front conquiert une part de l’électorat conservateur comme travailliste et s’attache les nouveaux partisans. (...)

De même que leurs prédécesseurs l’avaient envisagé dans les années 1930, les dirigeants du National Front se mirent à rêver de l’enterrement prochain de la démocratie et de la société multiculturelle britannique, et s’organisèrent en gardant cet objectif en tête. (...)

Dans son essai influent paru en 1979 sous le titre « The Great Moving Right Show », Stuart Hall, l’un des tenants le plus en vue des cultural studies, mentionne les campagnes antifascistes et les actions directes menées à la fin des années 1970 comme les rares succès qu’a pu compter une période par ailleurs caractérisée par un retrait de la gauche. Bien que d’autres facteurs soient entrés en jeu, l’effondrement de l’électorat du National Front dans les scrutins suivants a été rapide et sévère : aux élections législatives de 1983, le parti n’enregistre que 27 065 voix sur l’ensemble du pays, perdant plus de 190 000 votes. À Haringey, où le National Front avait atteint 8 % lors des suffrages précédents, les résultats tombent à 3 % en 1979 et le parti se trouve incapable de présenter un candidat pour cette circonscription lors des élections suivantes. (...)

À l’instar de la bataille de Cable Street en octobre 1936, les affrontements à Wood Green ont à coup sûr été un moment formateur dans la lutte contre le fascisme en Grande-Bretagne. (...)