
"ELLES. Les prostituées et nous", c’est une enquête salutaire, à la rencontre de prostituées, indépendantes ou victimes de réseaux. Dans ce livre, la journaliste Sophie Bouillon, prix Albert Londres en 2009, leur donne la parole, et donne à voir leur situation, sans parti pris. Des témoignages bien loin de l’image glamour qui peut encore parfois être perpétuée sur la prostitution. Pour les Nouvelles NEWS, Sophie Bouillon analyse l’actuel débat sociétal - et politique - sur la prostitution... Entretien.
(...) au départ j’avais une pensée commune sur la prostitution. Je vivais en Afrique du Sud, où on est très loin des débats féministes français. Là bas la prostitution est prohibée, les prostitués sont enfermées, violées par la police. Cela me semblait une évidence qu’il fallait que la prostitution soit libéralisée.
Mais en rencontrant les prostituées, certains stéréotypes se déconstruisent. La question du choix, par exemple. C’est un fait, elles ont toutes un parcours hyper traumatique dans l’enfance. Il y a aussi un problème d’argent pour l’immense majorité. On prend conscience de la manière dont les clients les traitent. J’ai découvert les commentaires sur les sites d’escort. Tu as envie de leur dire : mais rappelez-vous que ce sont des êtres humains ! (...)
Un journaliste m’a demandé : mais quand même, il y en a bien qui aiment faire ce travail ? Mais leur travail, c’est justement de faire croire qu’elles aiment ça... Les clients sont tous persuadés qu’elles ont eu du plaisir. Mais comment peuvent-ils s’imaginer qu’en ayant 30 relations sexuelles par jour elles vont avoir du plaisir à la 29e ? (...)
Lorsqu’on lit votre enquête, on pourrait penser que vous êtes pour la pénalisation du client ?
C’est le seul sujet sur lequel j’ai enquêté pour lequel je n’arrive pas à avoir d’opinion. D’un côté, la loi permettrait de faire prendre conscience aux hommes que ce qu’ils font est intolérable. Mais pour les femmes sans papiers, notamment, c’est souvent leur seule ressource ; si on leur enlève ça, elles n’ont plus rien.
Effectivement dans un monde idéal, il n’y aurait pas de prostitution. Je pense que tout le monde s’accorde là-dessus. Mais les politiques ont un devoir d’avoir une position claire sur ce sujet. Que l’on soit pour ou contre la pénalisation du client, on ne peut que déplorer le temps perdu, le fait que le Sénat fasse tout pour bloquer la loi. Car pendant ce temps là, les prostituées n’ont plus de clients car ils ne viennent plus, ils ont peur... mais en même temps les associations n’ont pas encore d’argent pour aider les prostituées à sortir de la rue.