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le Monde Diplomatique
Si tu veux la guerre, prépare la guerre
par Serge Halimi & Pierre Rimbert, août 2019
Article mis en ligne le 10 janvier 2020

Entre l’Iran et les États-Unis, les incidents se multiplient. Depuis que le président Donald Trump a décidé de dénoncer l’accord sur le nucléaire conclu avec Téhéran par les grandes puissances en 2015, durant le mandat de son prédécesseur Barack Obama, les drones abattus succèdent aux déclarations martiales et aux embargos. La presse américaine n’est pas étrangère à cette surenchère.

Imaginons qu’un drone iranien soit abattu au-dessus de la Floride, ou à quelques kilomètres de ses côtes. Au lieu de débattre de la localisation précise de l’appareil, on s’offusquerait certainement de sa présence à douze mille kilomètres de Téhéran. Mais, quand, le 20 juin dernier, l’Iran a détruit un drone américain qui avait frôlé son territoire (version du Pentagone) ou qui l’avait survolé (selon Téhéran), nul ou presque ne s’est interrogé sur le bien-fondé de la présence militaire américaine dans le golfe Arabo-Persique. La dissymétrie du traitement médiatique occidental, selon que le pays qui enfreint le droit international est une (gentille) démocratie libérale ou un (méchant) pays autoritaire, ne soulève plus d’objection.

Dans un climat d’escalade entre Washington et Téhéran, « présenter sans cesse l’Iran comme une menace, nucléaire ou autre, induit le message qu’il faut l’attaquer », avertit cependant Gregory Shupak, spécialiste des médias à l’université de Guelph-Humber (Canada). (...)

Pourtant, ajoute-t-il, « dire que ce sont les États-Unis qui menacent l’Iran serait beaucoup plus respectueux de la vérité que prétendre l’inverse. Après tout, c’est bien le gouvernement américain qui, en ce moment, détruit l’économie iranienne par des sanctions restreignant l’accès de la population à la nourriture et aux médicaments, et qui encercle l’Iran de bases militaires et de forces armées à la fois terrestres, maritimes et aériennes. Pour sa part, l’Iran ne fait rien de comparable avec les États-Unis » (1).

Ce renversement qui favorise « spontanément » la puissance américaine s’appuie notamment sur la mémoire sélective, mélange de confection politique de l’oubli et de mensonge médiatique par omission. Ainsi, qui, en Occident, se souvient du vol 655 de la compagnie Iran Air ? Le 3 juillet 1988, le croiseur américain USS Vincennes, patrouillant dans les eaux territoriales iraniennes, détruit un avion de ligne qui transporte 290 passagers et membres d’équipage à destination de Dubaï. Les États-Unis nient d’abord leur responsabilité, puis font valoir que le Vincennes naviguait dans les eaux internationales et que l’Airbus iranien, qu’ils ont confondu avec un avion de chasse, descendait de façon menaçante vers le navire américain. Deux mensonges, reconnus plus tard, au point que les États-Unis exprimeront leurs « profonds regrets » et verseront 61,8 millions de dollars aux familles des victimes.

Si cette affaire a été rapidement oubliée — sauf en Iran… —, une autre, comparable et pourtant plus ancienne, a longtemps marqué les mémoires occidentales. (...)

Au lendemain de la destruction du Boeing 747 par la chasse soviétique, l’éditorial du New York Times (2 septembre 1983), intitulé « Meurtre aérien », affirme : « On ne peut concevoir aucune excuse lorsqu’une nation, quelle qu’elle soit, abat un avion de ligne inoffensif. » Cinq ans plus tard, lorsqu’il s’agit d’un tir de l’armée américaine, les justifications ont cessé d’être inconcevables. « Bien que la chose soit horrible, c’était un accident, souligne en effet un autre éditorial du même quotidien. (...)

Ces automatismes d’écriture contribuent à la désinformation autant que des mensonges caractérisés, à ceci près que le décodage des préjugés atlantistes s’avère moins en vogue que celui des fake news. Détester l’Iran et promouvoir les bobards du Pentagone ne ralentit pas une carrière de commentateur. (...)

Car, quand il faut préparer l’opinion à la guerre, mieux vaut ne rien connaître de l’histoire du pays ciblé, ni de sa civilisation.