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« Si on reste dans notre coin, on nous accuse d’être radicalisés. Si on est avenant, c’est de la taqiyya » : Thomas Sibille de la librairie Al Bayyinah d’Argenteuil
Warda Mohamed Journaliste et co-fondatrice du média Ehko.info.
Article mis en ligne le 9 décembre 2020

Le fondateur de la librairie Al Bayyinah Thomas Sibille a décidé d’accorder sa première interview à [Ehko] et nous a annoncé avoir déposé plainte contre Bernard Rougier et le JDD pour « diffamation ».

En janvier dernier, pour la première fois, cette librairie a été citée dans un livre coordonné par le chercheur Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme. L’ouvrage, qui l’associe à l’Etat islamique dans le titre du chapitre, sert de support au projet de loi contre « le séparatisme islamiste » et aux critiques médiatiques et politiques visant l’islam et les musulmans.

En août, Le Journal du dimanche a publié l’article « Comment Argenteuil est devenue une terre salafiste » et l’accuse notamment de « proposer tous les livres de chevets des islamistes » et d’avoir eu pour clients « des personnes entendues par la justice dans des affaires de djihadisme ». Son contenu a été remis en cause par plusieurs personnes citées, dont Thomas Sibille.

Avec ses associés, il a nommé la librairie « comme une sourate du Coran qui signifie la preuve claire », « car les livres sont le moyen d’accéder au savoir et peuvent guider vers la connaissance ». (...)

[Ehko] : Pourquoi, pour la première fois, avez-vous décidé de parler à un média ?

[Thomas Sibille] : Le premier à avoir parlé d’Al Bayyinah est Bernard Rougier dans le livre Les territoires conquis de l’islamisme sorti en janvier. Le passage est truffé de diffamations, de raccourcis et d’informations non vérifiées. Personne de son équipe n’est venu nous rencontrer, alors qu’on a pignon sur rue et qu’on est très facilement joignables.

Puis il y a eu l’article du Journal du dimanche (JDD) en août. Les deux m’ont choqué. Avec mon avocat maître Samir Hamroun, nous avons déposé plainte pour diffamation contre Bernard Rougier et contre le JDD. Nous avons également contacté le maire d’Argenteuil.

Bien souvent, les médias sont à la recherche de sensationnel et sont rarement objectifs, surtout lorsqu’il s’agit d’islam. Au risque de voir mes propos déformés, je n’ai jamais souhaité parler publiquement. D’autant que je suis libraire et non polémiste, je n’ai normalement pas à le faire. Mais puisque la presse a parlé de mon entreprise et de moi, j’ai souhaité m’exprimer dans un média que je crois être de bonne foi et qui fait preuve d’un vrai professionnalisme. (...)

. D’abord car nous sommes commerçants pas imams ou responsables associatifs pour avoir à porter un message public ou prendre la responsabilité de s’exprimer au nom des musulmans. Ensuite, parler c’est s’exposer. Je ne souhaite pas voir des grand médias faire la queue devant la librairie parce que quand bien même je montrerais patte blanche et dirais que je n’ai rien à voir avec le terrorisme, je sais comment ils procèdent. Ils prennent un extrait d’un livre ou, comme ça a été fait, pointent que telle personne partie en Syrie serait venue faire des achats et montent une affaire sur un truc bidon. Donc ça ne sert à rien de parler. (...)

notre librairie et la ville d’Argenteuil sont ciblés, surtout depuis l’état d’urgence.

Comment êtes-vous « ciblés » ?

Depuis l’ouverture de la librairie en 2009, et ça c’est accentué à partir de 2015 [Ndlr. Après les attentats et l’état d’urgence], nous avons les renseignements généraux et d’autres services de l’État sur le dos.

On a subi une perquisition en 2015 durant l’état d’urgence à la librairie et à mon domicile, des contrôles fiscaux mais zéro redressement, la fermeture de nos comptes bancaires par les banques. Aujourd’hui, les médias et des chercheurs…

Lors de la perquisition, les policiers ont investi les lieux, visage couvert, avec chiens et boucliers. Ils ont tout fouillé dans la librairie et son entrepôt. L’un d’eux, d’origine maghrébine, m’a demandé pourquoi on vend des livres parlant du « djihad », en pointant des livres en arabe sur la jurisprudence islamique. J’ai répondu que tous les livres de jurisprudence ont un chapitre sur le sujet, comme la législation française a un chapitre sur la guerre. Cela ne veut pas dire que la France est un pays guerrier, ni que l’islam est une religion guerrière.

Il vaut mieux connaître le djihad pour savoir ce que ça signifie et quelles sont ses limites plutôt que ne rien connaître, être sous le coup de l’émotion après avoir vu une vidéo de propagande et commettre des crimes.

Il m’a répondu quelque chose du genre « Oui, c’est ça ». J’ai ajouté que toutes les librairies vendent ce type de bouquins, il a rétorqué qu’on sait pourquoi on vient particulièrement ici. (...)

Au moment de se rendre à mon domicile, un agent m’a demandé ce que « je foutais là », ajoutant que je n’ai pas le profil, et comment j’étais devenu musulman. Je lui ai expliqué que je suis un ancien catholique converti à l’islam. Il m’a dit qu’on se reverrait.

Chez moi, un autre policier maghrébin m’a dit de ne pas m’inquiéter, parce qu’il savait que je n’avais rien à voir avec tout ça, que c’est de la politique et qu’ils étaient obligés d’agir ainsi. Je l’ai interrogé : « Pourquoi nous ? ». Réponse : « Le profil ».

Quel serait votre « profil » ?

Je suis converti, barbu, gérant d’une librairie musulmane. (...)

Comme à la librairie, la police est intervenue chez moi avec des chiens et ne m’a pas laissé entrer au départ. Ma femme a dû quitter notre domicile avec notre petit dernier. Ils ont tout retourné, tout vidé, mis au sol… Là encore, le policier maghrébin a regardé les livres de ma bibliothèque. Puis, il a appelé un collègue : ils pensaient avoir trouvé quelque chose. C’était le pistolet en plastique de mon fils de trois ans…

Le commissaire m’a annoncé qu’ils n’avaient rien trouvé mais qu’ils pourraient revenir parce que je suis dans leurs fichiers. (...)

C’est simple : je condamne les attentats et la violence, qu’est-ce que je peux faire de plus ?

Je ne suis ni idéologue, ni imam, ni responsable associatif, je suis libraire. A titre personnel je condamne les attentats et ne vends pas de livres qui les justifient, par contre je vends plein de livres qui condamnent les attentats ! (...)

Nos livres ont tous un ISBN [Ndlr. Référence obligatoire pour vendre un livre] et sont tous référencés. On ne reproche pas à la Fnac ou Amazon de vendre ces livres, pourquoi on me le reproche à moi ?

On cible un musulman, on ne demande pas à la Fnac pourquoi elle vend Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon comme si c’était un problème parce que leurs avis sont opposés. On considère que ce sont des libraires qui vendent des livres à des adultes qui ont le droit de lire une pensée pour y adhérer ou la critiquer. Au nom de la liberté d’expression. Mais les policiers disent que cela leur permet de connaître notre doctrine… (...)