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géographie en mouvement
Science des nuages et pluie de dollars
74e Locarno film Festival (2)
Article mis en ligne le 13 août 2021
dernière modification le 12 août 2021

Un documentaire finlandais suit durant 3 ans une physicienne de l’institut météorologique d’Helsinki. Financée par les Émirats arabes unis, Hannele Korhonen cherche à faire pleuvoir dans le désert et se trouve confrontée aux enjeux éthiques et politiques d’une science au service d’objectifs qui lui échappent. (Par Manouk Borzakian)

Près de 28°C de température moyenne annuelle, moins de 100 mm par an de précipitations sur une bonne partie du territoire, des dunes à perte de vue et, pour couronner le tout, des tempêtes de poussière régulières : les Émirats arabes unis sont un cas d’école du climat désertique chaud et de ses rigueurs. Si, par miracle, un nuage se forme et si, deuxième miracle, il daigne donner un peu de pluie, l’évaporation arrête les gouttes d’eau 200 mètres au-dessus du le sol. (...)

Pour son documentaire How to Kill a Cloud, la réalisatrice finlandaise Tuija Halttunen a suivi sa compatriote Hannele Korhonen, spécialiste des effets des aérosols sur le climat parmi les lauréate de la deuxième salve de financements. En lieu et place des danses magiques et des incantations aux dieux de la pluie, la météorologue utilise des outils de mesure dernier cri pour améliorer la compréhension de la formation des nuages et fournir des données d’une précision inédite. Avec en vue la capacité de prévoir avec exactitude et, éventuellement, modifier la météo.

Scientifique embarquée

Le film explore, à travers une situation emblématique, les relations troubles entre science et éthique. Relations d’autant plus problématiques à l’heure où la recherche fonctionne de plus en plus sur la base d’appels à candidatures ponctuels en lieu et place de financements pérennes. Concurrence entre laboratoires, rédactions incessantes de projets de recherche formatés, soumission de fait aux intérêts privés, la science avance désormais au rythme non pas des aléas de la recherche mais des préoccupations de la « société civile », autrement dit de quelques lobbies et grandes entreprises.

Consciente de l’enjeu mais prise dans son rôle ambigu de scientifique « embarquée », Hannele Korhonen énumère, face caméra, les problèmes : qui aura accès aux données produites ? quel usage en sera fait ? au profit et au détriment de qui ? avec quels risques pour l’environnement ? et de quelle liberté intellectuelle jouit la chercheuse du moment où son projet est financé par une institution lui imposant ses objectifs et contrôlant ses interactions avec la presse ? Mais elle évacue ses propres questions, se réfugiant derrière l’objectivité de la science, la bonne foi supposée des bailleurs de fonds… et le confort des palaces dans lesquels elle est logée par le gouvernement émirati. (...)

C’est l’intelligence de la réalisatrice de contrebalancer cet exercice d’auto-conviction par des images qui, elles, laissent peu de place au doute – les fontaines décoratives consommant plus d’eau qu’une famille, l’interminable arrosage de parcours de golf, les volutes des canaux de climatisation. L’argument de la sécurité de l’eau est une plaisanterie. Et le visage déformé de la scientifique, reflété à l’infini par les miroirs des palaces, laisse affleurer sa conscience pas très tranquille. (...)

l’enjeu dépasse le fonctionnement de la science. Alors que le GIEC vient de publier un énième avertissement quant au cataclysme à venir, les délires prométhéens de la petite minorité au pouvoir aux Émirats arabes unis ont des allures de cauchemar éveillé. Comme en Occident, on continue de s’enferrer dans l’illusion des réponses technologiques à la crise environnementale – quand on ne préfère pas simplement l’ignorer –, chaque « solution » ne faisant qu’aggraver le problème à long terme.

Au bout du compte, ce qui semble échapper à la météorologue finlandaise, prise dans un mélange d’inconscience et de mauvaise foi, c’est que la science qu’elle produit ne porte pas les promesses d’un monde meilleur. Elle répond aux attentes d’une minorité qui se prépare au pire plutôt que de chercher à l’éviter.