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Sans crier gare, des convois radioactifs traversent les centres-villes
Article mis en ligne le 10 juillet 2021

Des milliers de convois nucléaires à très forts enjeux de sûreté circulent chaque année sur les routes et rails de France, aux risques des convoyeurs et à proximité des populations. Sud-Rail dénonce une érosion de la culture de la sécurité, tandis que Fret SNCF fait valoir son droit au silence.

« C’est une logique très datée, mais nous avons encore des trains de déchets nucléaires qui traversent le centre-ville lyonnais. » Nicolas Peyrard, coordinateur de la Fédération des associations d’usagers des transports (Fnaut) Auvergne-Rhône-Alpes, marque un temps, afin de laisser l’auditoire s’imprégner de l’information. « Vous ne le saviez pas ? Nous n’avons pas de voie de transit périphérique, donc tous les trains de fret passent par la gare Part-Dieu. » Des convois de déchets radioactifs au cœur d’une métropole française. L’image semble aberrante. Elle tient pourtant de l’ordinaire.

Par les rails comme par les routes, la logistique de l’industrie nucléaire alimente en combustible les cinquante-six réacteurs du parc français, puis en exfiltre les déchets vers le centre de retraitement de La Hague (Manche). Soit 19 000 transports par an (...)

Une fois usé et hautement radioactif, le combustible prend le train, direction Valognes, à une trentaine de kilomètres de La Hague, puis traverse les derniers kilomètres à dos de camion. À l’usine Orano de La Hague, le combustible usé est décomposé en différents types de déchets, à divers degrés de radioactivité. Le plutonium est envoyé sous escorte à l’usine Orano Melox, dans le Gard, pour y être transformé en combustible MOX (mixed oxides). L’uranium de traitement, lui, va à Pierrelatte.

Au total, parmi les 19 000 transports par an (principalement routiers et ferroviaires [3]) liés à l’industrie nucléaire, environ 3 000 sont des transports à très forts enjeux de sûreté (...)

« Le Français moyen qui pense être loin d’une installation nucléaire peut parfaitement avoir au bout de sa route un camion ou un train nucléaire qui passe », dit Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace. (...)

Des risques d’accident et d’irradiation

Un trafic dense, qui multiplie les risques pour la population civile. Deux scénarios inquiètent : l’accident et le risque d’irradiation. Les trains, surnommés Castor (acronyme anglais pour Conteneur de stockage et de transport du combustible nucléaire), ont été conçus pour endurer des conditions d’accidents : résistance aux chocs à 50 km/h, chute de 9 mètres, incendie de 800 °C pendant 30 minutes... Des précautions nécessaires : les accidents ont la puissance « d’un quart, voire d’un demi-réacteur nucléaire. Un accident sur du combustible usé, c’est le même accident que Fukushima », estime Dominique Malvaud, secrétaire général du syndicat Sud-Rail, maintenant à la retraite, qui a lutté pendant des années pour médiatiser les enjeux des trains du nucléaire.

« Nous avons une réglementation relativement draconienne, mais il y a des failles à l’épreuve de la réalité », estime Yannick Rousselet. Le militant écologiste a identifié des points de faiblesse sur les trajets des convois : passages réguliers par des circuits de hauteurs supérieures à 9 mètres et par des galeries souterraines au sein desquelles un effet de tunnel pourrait se produire en cas d’incident, et provoquer des températures au-delà de 1 000 °C. Un axe de circulation préoccupe en particulier les cheminots. (...)

En cas d’une prise en écharpe — la collision de deux trains sur un aiguillage — ou d’un déraillement, les militants antinucléaires craignent l’apparition de conditions comparables à l’accident du tunnel du Mont-Blanc de mars 1999, au cours duquel trente-neuf personnes sont mortes après l’embrasement d’une semi-remorque. (...)

Si les incidents sont une réalité dans la mémoire des syndicalistes de Sud-Rail, tous sont restés jusqu’ici sans gravité. (...)

Des trains arrêtés dans des gares de voyageurs

Pour Bruno Chareyron, le responsable du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), l’irradiation passive des populations traversées et des conducteurs concernés est une certitude. (...)

« Si on appliquait des normes de protection sanitaire, le transport de certaines matières serait impossible, car cela coûterait trop cher, assure l’ingénieur. Il faudrait des blindages en plomb, ce qui induirait des coûts extrêmement importants. »

Les cheminots ont alors pris conscience des risques encourus par leurs collègues.

(...) les arrêts en gares de voyageurs sont toujours une réalité aujourd’hui. « S’ils ne s’arrêtaient que dans des gares de triage, ce serait une chose. Mais on les retrouve encore régulièrement durant leurs temps d’arrêt en milieu de gare de voyageurs. » À Rouen, Versailles-Chantiers

Un cheminot sous couvert d’anonymat raconte : « Je suis allé faire une enquête il y a deux ans à la gare de triage de Portes-lès-Valence, où j’ai mesuré un train de combustible yellow cake. Quand les gars de la manœuvre ont vu que ça bipait [sur mon dosimètre], ils ont commencé à paniquer. Je leur ai demandé : “Vous avez vos dosimètres ?” Ils n’en avaient pas. » Des cheminots ont-ils subi des contaminations supérieures aux normes autorisées ces dernières années ? Interrogée, Fret SNCF n’a pas souhaité répondre à cette question.

Un silence d’autant plus inquiétant que les anciens cheminots décèlent une érosion de la culture de la sécurité entourant les convois nucléaires. Depuis le 1er janvier 2020, les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été absorbés dans les Comités social et économique (CSE), diluant leur pouvoir d’influence et leurs capacités d’investigation. « Il n’y a plus de commission paritaire qui s’occupe du suivi des matières dangereuses ou radioactives, pointe Philippe Guiter. Les instances qui travaillaient sur le suivi des cheminots, des dosimètres, des incidents, ont disparu. »

À cette vigilance en berne s’ajoutent des pratiques qui démultiplient la dangerosité des convois , Sartrouville, Valence ou encore Le Mans, énumère le syndicaliste, les cheminots y ont constaté des arrêts de ce type. Pour Yannick Rousselet, ces arrêts soulèvent la question de l’exposition des populations des radiations non consenties (...)

Sollicité pour savoir si la fréquence de ces arrêts en gare de voyageurs était répertoriée et les autorités locales prévenues, Fret SNCF se mure dans le silence. « C’est un sujet sensible, il y a des questions de sécurité sur lesquelles nous ne pouvons pas nous prononcer », justifie avec une pointe de gêne l’entreprise publique. (...)

« Les instances qui travaillaient sur le suivi des cheminots, des dosimètres, des incidents, ont disparu. » (...)

Un cheminot sous couvert d’anonymat raconte : « Je suis allé faire une enquête il y a deux ans à la gare de triage de Portes-lès-Valence, où j’ai mesuré un train de combustible yellow cake. Quand les gars de la manœuvre ont vu que ça bipait [sur mon dosimètre], ils ont commencé à paniquer. Je leur ai demandé : “Vous avez vos dosimètres ?” Ils n’en avaient pas. » Des cheminots ont-ils subi des contaminations supérieures aux normes autorisées ces dernières années ? Interrogée, Fret SNCF n’a pas souhaité répondre à cette question.

Un silence d’autant plus inquiétant que les anciens cheminots décèlent une érosion de la culture de la sécurité entourant les convois nucléaires. Depuis le 1er janvier 2020, les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été absorbés dans les Comités social et économique (CSE), diluant leur pouvoir d’influence et leurs capacités d’investigation. « Il n’y a plus de commission paritaire qui s’occupe du suivi des matières dangereuses ou radioactives, pointe Philippe Guiter. Les instances qui travaillaient sur le suivi des cheminots, des dosimètres, des incidents, ont disparu. »

À cette vigilance en berne s’ajoutent des pratiques qui démultiplient la dangerosité des convois (...)

« Sur le même train de fret, on peut avoir un mélange de matières radioactives et de matières dangereuses : nitrates, essence, etc. », explique Philippe Guiter. Une découverte qui a été faite par hasard : « Les numéros de convois spéciaux disparaissaient en cours de route. On s’est rendu compte qu’ils mélangeaient train de fret et train de nucléaire en gare de triage. » Sollicitée, Fret SNCF n’a pas souhaité commenter l’existence de ces convois. (...)

Les associations antinucléaires prévoient que 200 nouveaux convois ferroviaires hautement radioactifs pourraient s’ajouter sur les rails à l’avenir. Produits à La Hague, ces déchets ultimes sont censés être enterrés dans les sous-sols de Bure.