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Salade ou viande, femme ou homme ? Les normes de genre déterminent nos goûts
Steaksisme. En finir avec le mythe de la végé et du viandard de Nora Bouazzouni, aux éditions Nouriturfu, avril 2021, 144p., 15 €.
Article mis en ligne le 21 juin 2021

Des aliments minceur et les piles de barbaque, le patriarcat sévit aussi dans nos assiettes. Femmes et hommes n’ont pas les mêmes régimes, sous l’effet de nos socialisations. Et cela, montre la journaliste et autrice Nora Bouazzouni, a des conséquences sur notre santé et sur notre environnement.

(...) Le cliché, c’est que les hommes aiment plus la viande rouge, les patates et les tacos, et que les femmes aiment plus le yaourt à la goyave, les salades de quinoa et le coca zéro. Je suis donc allée voir l’étude Inca 3, sur les consommations en habitudes alimentaires en France, et j’ai été étonnée de constater que ces clichés sont avérés en termes de consommation (...)

Des médecins de l’antiquité grecque Hippocrate puis Galien — qui je le rappelle ont eu une grande influence sur la médecine occidentale — et des philosophes comme Aristote, ont théorisé l’infériorité des femmes par la théorie des humeurs. Dans cette théorie, quatre humeurs régulent le corps : chaude, froide, sèche, humide. Les hommes sont associés au chaud et au sec, synonymes de courage, de bravoure et d’intelligence. Les femmes sont associées au froid et à l’humide, ce qui fait moins rêver… On retrouve ces caractéristiques des humeurs dans les aliments associés aux genres : la viande rouge et les plats épicés pour les hommes, les yaourts et la soupe pour les femmes. D’ailleurs, des chercheurs ont trouvé que les squelettes de femmes qui vivaient sous l’Antiquité à Rome portent des traces d’anémie que les squelettes masculins n’ont pas. Elles avaient des carences en fer.

Pourtant, c’est avéré scientifiquement, il n’y a pas de goût inné pour certains aliments selon qu’on soit homme ou femme. En revanche, dès la naissance, commence l’éducation alimentaire, où les normes de genre interviennent beaucoup. (...)

Les femmes sont soumises aux injonctions à la minceur. On leur apprend très tôt qu’elles doivent surveiller ce qu’elles avalent. La nourriture est associée à des impératifs de santé et nutritionnels. Elles connaissent les tableaux caloriques, les apports de telle viande ou tel légume. Alors que les hommes, eux, valorisent l’aspect hédoniste, l’abondance et vont se tourner vers des nourritures qui calent.

Cela se reproduit dans les familles : chez les adolescents, on surveille plus l’assiette des filles que celle des garçons. On valorise un gros appétit chez les garçons, on trouve cela normal, mais pas chez les filles.

Les femmes portent aussi la charge mentale de nourrir la famille. Dans les ménages hétérosexuels, les femmes font encore à 80 % la cuisine au quotidien. Pour les courses au supermarché, c’est quasiment 50-50, mais c’est la femme qui fait la liste. Les femmes doivent composer avec les envies, les goûts de chacun et chacune et préserver la santé de tous. Dans les enquêtes sociologiques, dans leurs témoignages, les hommes se plaignent de manger toujours la même chose, des plats « de bonnes femmes », même quand ce ne sont pas eux qui font la cuisine. Pourtant, on constate que même si les femmes font davantage la cuisine, elles finissent par se plier au régime du mari. (...)

L’alcool et la viande rouge sont les deux aliments qui sont largement plus consommés par les hommes que par les femmes : deux fois plus pour la viande rouge et trois et demi fois plus pour l’alcool.

La viande rouge est l’aliment le plus chargé symboliquement d’un statut viriliste. Si on mange un animal, on absorbe sa vitalité. La viande est associée à la force, au muscle. Elle permet de réaffirmer une domination de l’homme sur tout le reste. (...)

Je me suis rendu compte que les égéries des marques présentent de fortes différences selon qu’elles sont féminines ou masculines. (...)

Les slogans, eux, jouent sur la pensée magique. Ils traduisent l’idée que quand on incorpore un aliment, on n’avale pas que des nutriments, mais aussi ses vertus magiques. (...)

Les marques jouent là-dessus, et différemment qu’elles s’adressent aux hommes ou aux femmes. (...)

Ces régimes de genre ont des effets néfastes et quantifiables sur la santé. Quand on survalorise chez les hommes l’autonomie, l’individualité, l’hédonisme à l’extrême, ou une désinvolture par rapport aux recommandations nutritionnelles, ils finissent par être beaucoup moins perméables aux messages de santé et vont au contraire se méfier (...)

Les hommes ont un apport énergétique de 38 % supérieur à celui des femmes. Ils mangent plus gras, plus sucré, plus salé, plus de viande rouge et transformée. Cela a des conséquences comme le diabète de type 2, le cancer colorectal, les maladies cardiovasculaires, qui touchent davantage les hommes que les femmes.

Chez les femmes, comme on favorise une surveillance alimentaire, on retrouve plus de troubles du comportement alimentaire — anorexie, boulimie, hyperphagie. Elles peuvent aussi se retrouver carencée ou anémiées. Il ne faut pas oublier que même en France des femmes se privent pour donner plus à leur mari et leurs garçons. (...)

Le végétarisme est un régime qui reste dans le monde majoritairement féminin, et la France ne fait pas exception. Dans nos croyances les protéines végétales sont moins valables que les protéines animales. Les légumes, eux, sont associés à la faiblesse et la passivité. On va donc dire des végétariens qu’ils sont carencés, faibles et pâles, et qu’un homme qui deviendrait végétarien ou végan subirait comme une féminisation, une dévirilisation. (...)