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Sainte-Soline : images de guerre et guerre des images
#SainteSoline #repression #Darmanin #images
Article mis en ligne le 6 avril 2023
dernière modification le 5 avril 2023

De l’aveu général, nous avons assisté à Sainte-Soline à des images de guerre. Mais aux images de guerre, puisque guerre il y a, vient aussi s’ajouter une guerre des images, tant il est vrai qu’il n’y a pas de guerre sans propagande. Propagande que nous allons essayer de décrypter ici.

Précisons tout d’abord que nous ne nous cacherons pas derrière une fausse neutralité qui consisterait à renvoyer dos à dos les violences des manifestants et des forces de l’ordre, mais plutôt d’interroger les présupposés des deux récits et ce qu’ils impliquent en termes de visions du monde. Ces présupposés parlent d’eux-mêmes comme nous pourrons le voir.

« de nouvelles images extrêmement violentes »

Le premier récit est celui du pouvoir en place. Il s’exprime de manière explicite dans une interview du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, sur CNEWS, daté du 24 mars 2023, soit la veille des événements. Dans cette interview, le ministre nous prévient, interrogé au sujet de la manifestation prévue contre le projet de mégabassine de Sainte-Soline, « Les Français vont voir de nouvelles images extrêmement violentes », puis « nous verrons des images extrêmement dures ». C’est ce qu’en narratologie, on appelle une prolepse narrative, soit le récit anticipé d’un événement à venir. Faire une prolepse dans le cadre d’un récit présuppose qu’on maîtrise à l’avance toutes les étapes du schéma narratif, on comprendra donc que la seule personne habilitée à faire une prolepse soit l’auteur lui-même et personne d’autre. Appliquée au cas qui nous occupe, l’existence de cette prolepse et le fait même qu’elle se soit révélée exacte est particulièrement problématique. Ce que nous dit Gérald Darmanin c’est qu’il avait prévu la violence des affrontements à Sainte-Soline. Rappelons juste que le rôle d’un ministre de l’intérieur est de maintenir l’ordre et le calme et précisément d’éviter le recours à la violence. Or dans le cas précis, non seulement il ne l’évite pas, mais il avoue par avance que tout en l’ayant anticipé, il ne fera rien pour l’éviter. (...)

On le sait, le capitalisme commence en Grande Bretagne et en Irlande avec l’appropriation de la terre à travers le mouvement des enclosures. Avec Sainte-Soline, avec la réforme des retraites, le capitalisme est revenu à ses fondamentaux, anticipant, dans une pure logique de prédation, les crises, financière, écologique, politique à venir. Il s’agit de s’accaparer les ressources essentielles comme l’eau et la terre, il s’agit de s’accaparer la force de travail de la masse pour la mettre au seul service du capital. Et pour cela, il s’agit évidemment de diaboliser tous ceux qui pourraient se placer en travers du chemin en mettant en avant la violence qu’on a soi-même provoquée. Darmanin utilise à dessein le terme d’écoterroriste. Parce qu’un terroriste on peut le tuer sans que ça n’émeuve personne. Peu importe que, dans les faits, si terrorisme il y a, il soit plutôt du côté du gouvernement qui cherche à se sortir de la crise dans laquelle il s’est fourré en terrorisant les manifestants.

Hollywood au renfort des manifestants

À ce récit du ministre de l’intérieur, quel récit peut-on opposer ? (...)

Si l’on s’intéresse à la rhétorique et à l’imaginaire des militants écologistes présents à Sainte-Soline, on constatera une proximité avec ce que l’on a pris l’habitude d’appeler les peuples premiers. Peuples premiers représentés comme des figures positives dans les deux films précédemment cités sous les traits des Navi’s et des Fremen. À l’instar des peuples premiers, les manifestants anti bassines se sont réunis en tribus sous l’égide d’un totem représentant des animaux locaux en lien avec le milieu aquatique, la loutre, l’anguille, l’outarde. C’est une foule, colorée, bariolée, et, il faut le dire puisque cet aspect-là les chaînes d’information en continu n’en ont pas trop parlé, joyeuse, que l’on a vue à Sainte-Soline.

On y retrouve l’esprit carnavalesque que j’évoquais déjà dans une note précédente, et qui consiste en une remise en cause de l’ordre établi et à une inversion des rapports de force attendus. Face à des gendarmes suréquipés dotés d’armes de guerre, les manifestants utilisaient ce qui était à leur disposition, à savoir des pierres ramassées par terre. Les commentateurs de plateau ont eu beau jeu de gloser sur les boules de pétanque et les haches retrouvés sur certains manifestants : il s’agissait d’armes par destination et par conséquent ne pouvant être qualifiées comme telles qu’à partir du moment où elles auraient été utilisées, ce qui n’a visiblement pas été le cas (sinon, à n’en pas douter, nous l’aurions su). On ne peut pas en dire autant des LBD et des grenades de désencerclement qui ne sont assurément pas faites pour jouer à la pétanque. Des pierres contre des armes de guerre. La symbolique est forte : on pense évidemment à l’intifada, mais aussi à David contre Goliath. (...)

« Dissoudre les soulèvements de la terre » ou la politique hors-sol de Darmanin

Face à cette opposition dont il a exacerbé la force par l’usage disproportionné d’une violence étatique, Darmanin n’a eu d’autre recours que ce qui s’apparente dorénavant à un gimmick, similaire au « Qu’on lui coupe la tête ! » de la reine d’Alice au pays des merveilles. Il a annoncé qu’il allait « dissoudre » les soulèvements de la terre. Dissoudre les soulèvements de la terre. L’expression laisse songeur. Elle m’évoque le roi perse Darius faisant fouetter la mer pour la punir d’avoir contrecarré son projet d’invasion de la Grèce en dispersant les navires de sa flotte. (...)

Dissoudre les soulèvements de la terre ? Et pourquoi pas dissoudre la terre elle-même ? On trouve ici caractérisée l’expression d’une politique hors-sol qui est, à bien des égards, celle du gouvernement. (...)

Le député LFI François Ruffin dans une de ces comparaisons issues de la culture populaire dont il a le secret compare Emmanuel Macron et son gouvernement au coyote de Tex Avery qui, sautant d’une falaise, continue pendant quelques instants à courir dans le vide avant de s’apercevoir qu’il va tomber et que le vide se trouve sous ses pieds. J’utiliserais pour ma part une autre image : Emmanuel Macron ne se contente pas de se jeter du haut d’une falaise, il scie la branche sur laquelle il est assis. (...)

Nous sommes précisément au moment où la branche est en train de se désolidariser du tronc, jetant un pays entier et son président dans le vide. Jusqu’ici tout va bien, semblent se dire le gouvernement et le président avec lui. Doit-on leur rappeler que ce qui compte, ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage ?