
Critique du livre "L’autodestruction du mouvement psychanalytique" de Sébastien Dupont
Il répond à la question de savoir ce que la psychanalyse est devenue, question qui ne cesse de se poser à l’intérieur comme à l’extérieur du champ psychanalytique. Or cette question est très vaste parce que la diversité des pratiques, chez les analystes, est aussi étendues que la diversité des personnes et des écoles (ce que Sébastien Dupont reconnaît volontiers). Voyons en quoi sa périlleuse démarche est fructueuse et où elle achoppe.
Sébastien Dupont est maître de conférences. Or il est d’usage, à l’université, en sciences humaines, de restreindre son objet d’étude afin de ne pas tomber dans la généralisation outrancière ou pire, l’allégation. Aussi traitera-t-on davantage (si l’on en traite et c’est là que le bât blesse), de la psychanalyse dans telle école suite à tant d’entretiens « formels » (c’est à dire avec prise de rendez-vous, de notes, enregistrements, questions répétées à chaque interlocuteur...) ou informels avec tant de personnes situées à différents niveaux de la hiérarchie... Cela ne garantit pas une totale fiabilité, mais évite néanmoins à l’auteur de l’étude de tirer des conclusions générales sur l’état du « mouvement psychanalytique » à partir d’une phrase énoncée entre deux portes par un membre d’une école de psychanalyse qui vient de commencer sa formation. En d’autres termes, cette contraignante méthodologie constitue un garde-fou qui oblige le chercheur à travailler au-delà de ses présupposés et des apparences.
Or Dupont écrit ici un brûlot, une tribune, un coup de gueule, mais ne fonde pas ses affirmations sur une étude. Son propos est donc fort éloigné des travaux universitaires qui pourraient être attendus d’un enseignant. Ceci dit, il demeure, même en dehors de cette rigueur d’anthropologue, permis de dénoncer ce que l’on constate ici ou là, et de susciter le débat là où c’est le silence, qui est de rigueur.
Philosopher ? Est certes aussi permis. Mais cet ouvrage ne propose pas une argumentation de type philosophique. Il s’agit plutôt d’une succession de points de vue et d’impressions qui, plutôt que d’éclaircir l’objet du propos, le floutent. Et quand on connaît un peu le champ analytique, l’impression que cela laisse est même que l’auteur n’y a rien compris et mélange tout. Je passe sur le fait qu’il cite au même niveau toutes sortes d’analystes pour étayer son propos ; des bons, des mauvais et surtout, ce qui pose vraiment question, des psychanalystes médiatisés que leurs pairs ne reconnaissent pas comme fiables... (...)
Il est en effet faux de dire que les psychanalystes promeuvent l’individualisme, et erroné de se laisser aller à la facilité qui consiste à remplacer, dans ce qui serait leur discours, le mot « sujet » par le mot « individu », pour leur faire dire que, partisans de l’individualisme, ils veulent ce que veut l’individu. Car ils tiennent précisément à mentionner qu’ils travaillent bien avec le « sujet » qu’ils situent du côté de l’inconscient qui se manifeste souvent par l’acte manqué, objecte volontiers au lien social, tend parfois au ratage... Parce que ce qu’ils appellent justement « sujet » et pas « individu » est divisé ; manquant et marqué par la division conscient / inconscient, alors que ce que nous appelons « individu » relève de la personne au sens social du terme ; celle qui, essayant de faire bonne figure, apparaît en public, joue un rôle auprès des autres avec lesquels elle essaie de s’arranger, etc. La psychanalyse ne parle pas de cette personne, de cet individu qui ne pense éventuellement qu’à lui-même et à son intérêt personnel (c’est ce que la dénonciation de l’individualisme lui oppose d’ordinaire). Elle parle du « sujet », qui est quant à lui marqué, travaillé par la pulsion qui l’oriente vers l’autre, orienté par le fantasme dans lequel il s’articule à l’autre pour son bonheur mais pas sans heurts et malheurs. Et Dupont a beau jeu, pour montrer que la psychanalyse a « joué un rôle non négligeable dans la diffusion de l’individualisme » , d’ajouter que d’ailleurs, « Lacan proposait (...) comme ultime éthique du sujet celle de "ne pas céder sur son désir". » Car Lacan y ajoutait justement que le désir est désir de l’autre. Quoi qu’on comprenne à cette étrange affirmation, elle exclut je crois de se servir de Lacan pour « montrer » que « les psychanalystes » favorisent l’individualisme. En aucun cas l’individualisme ne caractérise l’approche psychanalytique, bien au contraire ; c’est là que la psychanalyse se distingue des autres approches thérapeutiques.
Quant à se servir de Pierre-Henri Castel et de son ouvrage A quoi résiste la psychanalyse ? pour lui faire dire que ces psychanalystes, qui seraient individualistes, s’associent à la quête d’autonomie qui caractérise nos sociétés, là, les bras m’en tombent. Car en lisant cet auteur, il m’a semblé que psychanalyste, il disait exactement le contraire, à savoir que c’est cette quête acharnée de l’autonomie qui a rendu malades bon nombre de personnes, et que la psychanalyse essaie de résister (avec force difficultés et non sans se réduire comme peau de chagrin) mais résiste encore à cet envahissant idéal d’autonomie qui entend promouvoir l’individu en faisant l’impasse sur le sujet et sa division alors qu’il n’est ni possible ni souhaitable de la supprimer. (...)