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La vie des idées
Résister dans la forêt
Jean-Baptiste Vidalou, Être forêt. Habiter des territoires en lutte, Paris, Zones, 2018, 144 p., 14 €.
Article mis en ligne le 2 avril 2018

C’est par un maillage d’infrastructures que le pouvoir réduit les particularités locales, exploite les ressources, combat les autonomies. Habiter des territoires en lutte permet de lui résister. « Être forêt », de Notre-Dame-des-Landes à Bornéo, c’est devenir ingouvernable.

(...) Être forêt, est un appel à refuser le gouvernement du monde par les chiffres dont les ingénieurs sont les implacables artisans. (...)

Jean-Baptiste Vidalou s’inscrit dans la tradition foucaldienne de dénonciation du gouvernement des hommes par une technostructure. La thèse est connue, mais il y rajoute une dimension territoriale, car le Panoptikon cher à Bentham, essentiel pour surveiller et punir, bute contre les aspérités de la géographie. Au contraire d’une fabrique ou d’une prison, le monde, surtout quand le vivant s’en mêle, n’est pas plat : dans le repli des vallées, dans les profondeurs des montagnes, là où le regard ne peut pénétrer, les hommes se dérobent au pouvoir central

Dès lors, le pouvoir n’a d’autre solution que de chercher à aménager ce territoire, à le pénétrer de routes, à plaquer une carte en deux dimensions sur l’espace : « Gouverner les hommes, c’est gouverner leur milieu. » (...)

La transition énergétique, les énergies renouvelables, les smart grids constitueraient-ils l’ultime avatar d’un corps des ingénieurs qui, sous couvert d’optimisation écologique, met en œuvre un projet de contrôle des ressources et des populations ? Négawatt, groupe d’ingénieurs travaillant à un système énergétique renouvelable, et Eon, multinationale allemande se proposant de valoriser avec l’ONF les Cévennes sous forme de bois-énergie, ne sont pour l’auteur que les deux bras d’une idéologie ingénieuriale sans âme, détruisant toute singularité, et dont l’obsession est de « tout prévoir, tout calculer, c’est-à-dire tout réduire à l’économie ». (..)

Dans le contexte actuel, ce rapport au monde ne se déploie pas seulement en forêt : celle-ci est la matrice de tous les mouvements qui refusent le désenchantement du monde et revendiquent une approche sensible. Dans les luttes urbaines ou contre les grands projets inutiles, ce sont deux visions du monde qui se livrent désormais la guerre. D’un côté, le calcul, les nombres, (...)

Être forêt apparaît donc comme une ébauche, un plan de travail qui mérite d’être mûri. Espérons qu’il se développera non sous la forme du tronc rectiligne d’un épicéa destiné à finir en granulés de bois, mais sous celle du grand chêne de Sherwood, cher à tous les rebelles, avec ses puissantes branches charpentières – essai de science sociale, manifeste des forêts-rebelles, roman, recueil de poèmes, avec un enracinement dans les luttes, mais aussi dans les communautés alternatives fécondes.