L’opération de destruction de bidonvilles "Wuambushu" à Mayotte va pouvoir reprendre. Dans un arrêt consulté par l’AFP, la chambre d’appel du tribunal judiciaire de Mamoudzou a donné raison mercredi 17 mai à l’État dans sa volonté de démolir l’habitat insalubre de "Talus 2", un bidonville de la commune de Koungou (nord-est) où vivent une centaine de familles. L’opération initiée par le ministère de l’Intérieur en avril dernier avait été compromise avant même son départ quand le juge des référés avait annulé l’ordonnance pour "voie de fait". (...)
Une décision qui pourrait faire jurisprudence
Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, s’est félicité ce jeudi de cette victoire judiciaire qui ouvre la porte à la destruction de "Talus 2" dans les prochains jours : "Notre action déterminée de destruction de l’habitat indigne à Mayotte va donc pouvoir reprendre", a-t-il déclaré sur Twitter. De son côté, Marjane Ghaem, avocate en droit des étrangers au barreau de Mayotte estime que "les habitants sont très inquiets". (...)
D’autant que cette décision de justice ouvre la porte à d’autres destructions : "Pour l’instant seul l’arrêté concernant "Magicavo Talus 2" peut rentrer en exécution, mais on a déjà 5 arrêtés publiés et l’ordonnance du juge administratif va faire sa jurisprudence, s’inquiète l’avocate. Le sort de Barakani sera connu après l’audience du 5 juin, donc il n’y aura pas de démolition jusque-là. Jusqu’ici on a gagné un peu de temps, mais l’État a désormais un boulevard devant lui". Selon Le Monde, une quinzaine d’autres opérations de "décasage" sont programmées dans les prochaines semaines. (...)
Ces opérations de destruction posent à nouveau la question du relogement des habitants de bidonvilles. Dans son arrêt, le tribunal administratif a estimé que la préfecture avait apporté des "éléments nouveaux" concernant le relogement des futurs habitants expulsés, notamment dans le cadre de la loi ELAN. Mais pour l’avocate Marjane Ghaem qui a étudié le dossier, ces garanties sont largement insuffisantes : "La préfecture a bien versé des contrats de bail, mais nous avons prouvé dans au moins 2 cas qu’on avait mis 2 familles dans un même appartement. L’absurdité du système c’est aussi que les villages relais de ’Coallia’ ne prennent que des personnes en situation régulière", alors que les principaux concernés sont majoritairement clandestins. (...)
Pour l’avocate, cette réalité illustre l’hypocrisie de l’opération Wuambushu : "Il y a une volonté de résorber les bidonvilles sauf qu’il y a 150 000 personnes qui habitent dans les logements informels à Mayotte. Vouloir déloger ces gens sans alternative, cela crée de la précarité, de la violence et de la déscolarisation." Coordinateur de la Ligue des Droits de l’homme (LDH) à Mayotte, Daniel Gros approuve : "40% de la population habite dans les bidonvilles ici, on ne va pas détruire 40% de la surface sans rien reconstruire !". Selon lui, lors des opérations d’expulsion de 2021, seules 148 personnes avaient été relogées sur 8 000 expulsions.
Les centres de soins bloqués par les pro-Wuambushu
Ces dernières semaines, un faux climat de trêve régnait sur cette île de 300 000 habitants. Alors que les 1800 forces de l’ordre restaient suspendues aux décisions de justice, des collectifs d’habitants de l’île se sont mobilisés pour demander la poursuite de l’opération Wuambushu, initiée pour réduire la délinquance et expulser une partie des sans-papiers venus des Comores, à une centaine de kilomètres seulement.
Plusieurs affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et des jeunes habitants des bidonvilles tandis que des collectifs de Mahorais ont bloqué l’accès à des centres de soin. Le 4 mai le dispensaire de Jacaranda, à Mamoudzou, a été bloqué par le collectif des citoyens de Mayotte, un groupe favorable à l’opération Wuambushu. L’opération visait à empêcher les sans-papiers, qui n’ont pas les moyens de se rendre aux urgences, d’accéder au soin. (...)
Ces filtrages illégaux ont d’ailleurs créé des scènes d’émeute sur l’île. Le 12 mai, la direction du CHM a décidé de déclencher "le plan blanc" à la suite de l’intrusion de jeunes "délinquants" au sein du centre médical de référence (CMR) de Dzoumogné.
Les expulsions vers les Comores reprennent
L’arrêt de la chambre d’appel de Mamoudzou intervient le jour de la reprise, très attendue par les autorités françaises, de la liaison maritime entre Mayotte et les Comores. Après plus de trois semaines de suspension, un accord a été trouvé en début de semaine. Pour la première fois depuis le 24 avril, le ferry Maria Galanta a effectué une traversée de Mayotte à Anjouan avec à son bord une vingtaine de personnes, dont des candidats volontaires au départ. Selon le gouvernement de l’Union des Comores, seuls les refoulés "volontaires" seront admis à Anjouan. Mais d’après des médias locaux, des clandestins expulsés faisaient également parti de la traversée. (...)
Ces informations contradictoires s’expliquent par la tension diplomatique entre le gouvernement comorien et l’État français. (...)