
Un terroriste tombe amoureux d’une journaliste qui se fait passer pour une convertie tentée par le voyage en Syrie.
Anna Erelle, ou plutôt la femme qui se cache derrière ce pseudo, joue le jeu et feint d’accepter d’épouser cet homme et de se rendre en Syrie. Par ce biais, elle trouve le moyen de sortir du discours préparé à l’avance, convenu, que lui adressent d’ordinaire les djihadistes qu’elle interroge, qui vantent les mérites de leur organisation, de leur foi, de leur combat, de leurs valeurs. L’homme, nommé Bilel, lui parle vraiment. (...)
Le travail d’Anna Erelle, bien qu’il ne soit lié ni à la police ni aux services de renseignement, s’apparente à de l’espionnage. Elle se demande s’il relève encore de l’éthique journalistique. Ses confrères sont inquiets de la voir mener si loin l’expérience ; communiquant avec Bilel sur Skype, elle s’habille avec une djellaba et un voile pour ressembler à une convertie, répondant à l’amour de ce terroriste coupeur de têtes, et promettant de l’épouser tout comme de le rejoindre.
On peut dire qu’elle pousse fort loin l’expérience, se renseignant même sur la possibilité d’aller effectivement jusqu’à partir, possibilité que sa « hiérarchie » lui refuse. Elle insiste plusieurs fois sur son statut de travailleuse en freelance, statut ou plutôt absence de statut qui a probablement largement contribué à lui permettre de poursuivre librement cette étrange expérience, cependant que les contacts qu’elle gardait avec ses éditeurs (comme avec leurs juristes ?) lui auront évité d’aller plus loin que les abords des terres occupées. (...)
Il s’agit d’une véritable immersion participative, celle d’une reporter qui n’a pas la distance intellectuelle (ou la distance conférée par le fait d’être un(e) intellectuel(le)...) qu’on peut voir chez certains anthropologues. (...)
elle raconte cette histoire qu’elle vit « dans la peau » d’une autre en ne se rendant pas compte que ce faisant, elle devient écrivain. Dans cette peau dont elle a parfois bien du mal à dire si elle est la sienne ou celle d’une autre, elle aussi tremble, d’autant plus qu’elle s’engage vers la fatwa qui, naturellement, tombera à la fin de l’expérience, la condamnant à se cacher. (...)
Les violences qui sont faites aux femmes peuvent être dites sans s’y exposer à ce point. Et ce qui est intéressant, avec la littérature, c’est qu’elle nous laisse toujours la possibilité de leur inventer une ou des solutions. Alors que pour notre trop réelle Mélodie, trop confondue avec Anna, la seule solution aura été de disparaître cependant que son auteur aurait à se cacher... jusqu’à la fin de ses jours ?
C’est bien la dernière chose que j’aurais souhaité à une femme qui se voulait libre et qui s’est pourtant emprisonnée dans un système dont elle risque de ne jamais pouvoir se défaire, partageant pour toujours la condition de ces femmes en danger qu’elle voulait défendre... en toute vanité ?
Car, quid du fait que certaines d’entre elles ont choisi de se soumettre ?
Quid de ces milliers de « victimes » qui ont le mauvais goût d’être consentantes ?
La jouissance humaine, dans ses délétères avatars, est un vaste phénomène qui ne touche pas seulement les coupeurs de tête... (...)