
L’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, et, deux jours après, l’attaque de l’Hyper Cacher de Vincennes ont provoqué un choc au sein de la société française et suscité une réaction exceptionnelle avec les rassemblements du 11 janvier. Dans un premier temps, l’émotion balaya tout sur son passage, y compris une réflexion lucide sur ce qui s’était vraiment passé. Cet « événement monstre » a depuis ouvert une série de questionnements, notamment sur l’« esprit du 11 janvier ». Parmi les essais post-janvier 2015, les plus médiatisés furent les plus polémiques, propres à alimenter des débats enflammés, faits de propos à l’emporte-pièce.
Moins polémique et moins médiatisé, l’ouvrage co-écrit par Patrick Boucheron, professeur d’Histoire médiévale à Paris I, et Mathieu Riboulet, romancier, n’en est pas moins profond, ni moins passionné. En 130 pages, les deux auteurs reviennent sur les journées qui s’écoulèrent entre le 6 et le 14 janvier 2015, soit entre la veille de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo et la sortie du numéro dit des « survivants ». (...)
Ce livre, Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet l’ont écrit en historien et en romancier en proposant une approche inédite de ces événements. Ils rappellent que ces attentats « ne nous ont pas trouvés en très bonne forme » et reviennent sur cet avant 7 janvier où « nous étions épars » , avant de dérouler le fil des événements : les attentats de la rue Nicolas-Appert et les rassemblements spontanés du 7 janvier (chapitre 2), le meurtre du policier à Montrouge (8 janvier) et la poursuite des terroristes (chapitre 3), l’assassinat de quatre personnes à l’Hyper Cacher de Vincennes (chapitre 4), les rassemblements du 11 janvier (chapitre 5) et, enfin, la sortie du numéro des survivants, dont la Une représentait le Prophète, pleurant et tenant une pancarte sur laquelle on peut lire « Tout est pardonné » (chapitre 6).
Au fil des pages, ils s’emparent des émotions qu’ils ont ressenties sans prétendre avoir tout compris : « nous n’étions [pas] capables de faire le compte de ce qu’ils [les morts de Charlie Hebdo] endeuillaient en nous » . Ils décrivent également leur honte face à notre renoncement : « qu’avons-nous fait après Merah, qu’avons-nous fait vraiment ? Et après la tuerie du Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014, quatre morts, par Mehdi Nemmouche, 29 ans, une kalachnikov et une caméra en bandoulière, qu’avons-nous fait, sinon commencer à nous y habituer ? ».
Comme les deux petites filles inquiètes , le lecteur serait en droit d’attendre de la part de ces deux intellectuels des réponses : Qui est Charlie (ce à quoi tentait de répondre, non s’en avoir soulevé bien des controverses, Emmanuel Todd) ? Comment faire en sorte que ces massacres ne se reproduisent plus ? Allons-nous nous en sortir ? Ce n’est toutefois pas l’objet de ce livre. L’historien et le romancier ne s’improvisent ni juges, ni prophètes. Ils inscrivent les faits, les rapportent et leur donnent un sens. (...)