
Après 3 ans de crise et une intervention inédite des Etats pour amortir les chocs économiques et sociaux, la Commission européenne ne cache pas son empressement de siffler la fin de la récré et de revenir à un strict contrôle budgétaire au sein de l’UE. Cette semaine, elle a proposé de nouvelles règles pour encadrer les dépenses des Etats et leurs niveaux de déficit et de dette publics à l’avenir. Et ça va faire très très mal : une cure d’austérité sans précédent s’annonce ! Nos hôpitaux, nos écoles, notre protection sociale, l’ambition écologique… déjà sévèrement attaqués par Macron risquent de prendre cher. Je vous décortique une réforme scandaleuse qui aurait dû faire la une des journaux.
Les règles budgétaires européennes, vous les connaissez mieux que moi. En réalité, vous les côtoyez au quotidien. C’est la ligne de TER que vous empruntez tous les jours qui disparaît car elle n’est soi-disant par rentable. C’est l’attente des heures durant aux urgences d’un hôpital en sous-effectif car sommé de faire des économies. C’est votre tante en fin de carrière, obligée de trimer 2 ans de plus à cause de la réforme des retraites.
Partout où nos vies sont rendues plus difficiles se cachent, non loin, ces règles budgétaires absurdes et inventées sur un coin de table selon lesquelles un Etat européen ne doit pas avoir plus de 3% de déficit et 60% de dette par rapport à son PIB. Ces objectifs, aussi infondés et néfastes soient-ils, sont gravés dans le marbre des traités européens et sont un pilier de l’idéologie économique dominante. Pour les gardiens du temple libéral, budget bien ordonné a plus d’importance que le bien être des peuples. Conséquence : tout ce que nous avons de plus précieux et de plus utile (services publics, protection sociale, infrastructures publiques, mécanismes de solidarité) est susceptible de servir de variable d’ajustement un jour ou l’autre. Et ça a déjà largement commencé.
Pour être sûr que tout le monde se tienne à carreau, les Etats européens se sont dotés d’un mécanisme de surveillance et de sanctions, en vigueur depuis 2010. C’est ce qu’on appelle le Semestre européen.
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La situation a été d’autant plus bouleversée que le Covid puis la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine sont passés par là. Et pour amortir, autant que possible le choc et limiter la casse, les Etats ont fort heureusement délié les cordons de la bourse. A tel point que que la Commission elle-même a suspendu ses règles budgétaires depuis 2020, et jusqu’à la fin de l’année 2023, pour leur laisser davantage de marge de manœuvre. (...)
C’est dans ce contexte que la Commission européenne propose une réforme des règles budgétaires : pour les tenants de l’orthodoxie budgétaire, cette situation est inacceptable et il ne s’agirait pas de s’habituer à dépenser n’importe comment. Il est grand temps que États reviennent dans le droit chemin en réduisant la voilure de la dépense publique pour réduire leur déficit et leur dette.
La réforme proposée manie la carotte et le bâton à la perfection : d’une main, on donne plus de flexibilité aux Etats membres, de l’autre on durcit les sanctions. Avec les nouvelles règles, les Etats auront davantage de temps pour réduire leur dette et de marge de manœuvre sur la façon de le faire. (...)
Essentiellement cosmétique, la réforme ne change aucun des fondamentaux. (...)
Une chose est claire : c’est le retour assuré de l’austérité et de la casse sociale. (...)
Vous l’aurez compris : la réforme, avec ses gros sabots, va faire perdurer un système économique failli, injuste et insoutenable. Sous couvert de changement et d’assouplissement, c’est la continuation du même modèle néolibéral usé jusqu’à la corde. Oui il faut une coordination et des règles communes. Mais elles doivent être définies démocratiquement, au service de la justice sociale et de la transition écologique dans une perspective de long-terme. Ce sera à n’en pas douter un des éléments centraux de la campagne des européennes 2024 : l’austérité, stop ou encore ? Alors une chose est sûre : vous pouvez compter sur moi pour nous opposer de pied ferme à la nouvelle cure d’austérité généralisée et au sabotage de la bifurcation écologique que nous prépare la Commission et les gouvernements libéraux.
Manon Aubry, Présidente groupe de la gauche au Parlement 🇪🇺• Eurodéputée LFI-NUPES Ex porte-parole d’une ONG contre les inégalités & l’évasion fiscale• Toujours activiste