
L’âge de départ à la retraite catalyse les colères, sur fond de démissions massives et d’aspiration à du temps libre. « Ce n’est pas la "valeur travail" qui est abîmée, mais le travail lui-même » estime le sociologue Hugo Touzet.
(...) L’évolution de la place accordée au travail est également intéressante à observer. Comme le montre une étude de l’Ifop et de la Fondation Jean Jaurès, l’arbitrage entre argent et temps libre s’est quasiment inversé en l’espace d’une quinzaine d’années, les individus affirmant aujourd’hui majoritairement être prêts à gagner moins pour avoir plus de temps libre.
Centralité du travail
Mais doit-on conclure que l’augmentation des démissions et l’envie d’avoir davantage de temps libre annoncent la fin de la centralité du travail ? Ce n’est évidemment pas ce que nous défendons ici. Les enquêtes montrent que « l’importance » accordée au travail est proche de celle accordée à la « famille » ou aux « loisirs ». Plus encore, environ trois quarts des individus continueraient de travailler même si cela ne leur était pas nécessaire d’un point de vue économique. Axer le débat sur la « valeur travail » n’a donc que peu d’intérêt : la question doit porter sur le contenu et la finalité du travail. (...)
L’ouvrage de Thomas Coutrot et Coralie Perez, Redonner du sens au travail, est de ce point de vue éclairant [1]. A partir d’enquêtes statistiques, il et elle montrent que la quête de sens au travail touche toutes les catégories (pas seulement les cadres), et ne se limite absolument pas à la question du salaire.
Dégradation continue
Or le sens au travail et la capacité à bien faire son travail semblent se dégrader continuellement, et ce, dans quasiment tous les secteurs, comme l’a très largement documenté la littérature sociologique. L’extension des logiques marchandes, les nouvelles méthodes de management ayant comme unique but d’accroître la « performance » et la « rentabilité » – y compris au sein du secteur public – ou le renforcement du contrôle au détriment de l’autonomie des salarié·es, sont parmi les principaux moteurs de cette perte de sens. (...)
Mais ces constats d’un travail mis à mal concernent également le secteur privé, et notamment les segments professionnels les plus élevés dans la hiérarchie (...)
Débattre sur le travail
On pourrait objecter que les nouvelles méthodes de management et la multiplication des outils de gestion améliorent la productivité et servent ainsi l’intérêt général. Cependant, comme le met en évidence la professeure de sociologie Marie-Anne Dujarier, des dispositifs peuvent parfaitement continuer d’exister alors que tout le monde (salarié·es, concepteurs, dirigeant·es d’entreprise) s’accorde à les trouver inefficaces. (...)