Depuis des mois, le service central du renseignement territorial enquête sur Les Soulèvements de la Terre. Dans une note lue par Reporterre, les policiers décrivent un groupe d’activistes « ingénieux », ayant réussi à fédérer et radicaliser le mouvement climat. (...)
En filigrane, la police reconnaît « l’ingéniosité », « l’intelligence » et « la communication parfaitement maîtrisée » des activistes qui ont su rallier autour d’eux intellectuels, associations et syndicats pour créer un véritable mouvement social de l’eau et devenir « un acteur majeur de la contestation écologique radicale ».
Les policiers voient Les Soulèvements de la Terre comme une véritable menace. Ce qui expliquerait d’ailleurs le discours du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui réclame leur dissolution.
« Un basculement vers la résistance civile »
Le constat de la note est éloquent. Les Soulèvements de la Terre auraient réussi à « incarner le concept de transversalité des luttes » et « joué un rôle majeur dans la diffusion et l’acceptation de modes opératoires plus offensifs » : « En inscrivant les actions de sabotage dans une logique défensive des biens communs menacés, ils ont ingénieusement convaincu des militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la résistance civile », écrivent les policiers du service central du renseignement territorial.
La note évoque aussi la création d’un « white » et d’un « blue » bloc, directement inspirés des black blocs où les activistes viendraient masqués avec des combinaisons de même couleur pour rester anonymes et « commettre des exactions ». Les services de renseignements insistent sur « le noyau dur d’ultragauche » qui, selon eux, compose le mouvement, et tout particulièrement les militants de Notre-Dame-des-Landes « aguerris et forts de l’expérience zadiste ». Ces activistes auraient vite été rejoints pas un autre panel de militants plus jeunes et plus écologistes, liés notamment à Extinction Rebellion (XR). « Les Soulèvements de la Terre ont créé une forme de syncrétisme militant », expliquent-ils, mêlant « massification et radicalité ».
« Capacité d’influence » et « séduction »
Dans cette note de huit pages, le service central du renseignement territorial définit plusieurs « profils types » et cite le parcours individuel de militants et militantes engagées sur les questions écologiques. Au total, une vingtaine de noms ressortent du document, qui mentionne aussi des personnalités publiques comme l’anthropologue Philippe Descola, les écrivains Alain Damasio et Corinne Morel Darleux, le dessinateur Alessandro Pignocchi ou l’historien Christophe Bonneuil, qui participeraient, selon eux, à la diffusion publique du message des Soulèvements de la Terre. Il cible également « des médias alternatifs », « proches de la sphère environnementaliste », comme notre journal Reporterre. (...)
La note révèle l’importance des moyens mis en œuvre pour surveiller le mouvement. Elle affirme que les renseignements ont réussi à déjouer plusieurs actions de sabotage, notamment en août 2022, et relate « les débats internes » au sein d’XR sur l’écosabotage, ce qui montre qu’ils ont dû y avoir accès.
Pour les rédacteurs de cette note, c’est le concept de désarmement qui a finalement permis de propager le sabotage dans le milieu écologique et de le normaliser. Loin d’une simple trouvaille sémantique, le mot aurait réussi à rendre plus légitime la pratique, estiment-ils. Avec le désarmement, il s’agit de « rendre inopérantes des armes » et de « détruire les armes qui détruisent la planète ». Un discours bien plus porteur que la simple notion de sabotage, jugent les auteurs de la note. (...)
« habiles communicants », ces militants élaboreraient « des parodies humoristiques et des vidéos revendicatives attractives assumant autant le volet festif qu’offensif de leurs événements ». (...)
Mauvais sociologue
Pour les militants, cette note prouve que, si le gouvernement veut dissoudre Les Soulèvements de la Terre, c’est parce que ces derniers ont réussi leur pari. « Le problème fondamental avec ce mouvement, pour eux, c’est qu’on parvient à peser sur le champ politique plutôt que de s’en tenir à des pratiques sans portée », confient-ils à Reporterre.
La police reste néanmoins un mauvais sociologue, toujours à la recherche de leaders et de coupables. (...)