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non-fiction
Quand une certaine Afrique résistait au commerce des esclaves
Article mis en ligne le 9 septembre 2018
dernière modification le 7 septembre 2018

L’histoire de l’Afrique charrie son lot de préjugés. En 2007, le Président Sarkozy déplorait, dans les mots d’Henri Guaino, l’absence d’un récit de l’Afrique sur son histoire. Bien que ce discours ait été abondamment dénoncé par la plupart de ses commentateurs, il a pu faire écho, chez d’autres, à une lecture mal contextualisée des propos de Hegel sur l’Afrique – propos dans lesquels on a pu trouver une première formulation de l’idée selon laquelle ce continent n’était pas encore entré dans l’histoire. Les curieux mieux informés de l’histoire ont pu n’entendre dans le nom de Njinga que celui d’une furie insatiable de l’époque. Cette interprétation du parcours de la reine « angolaise » du XVIIe siècle n’est en somme que le produit naturel d’une incapacité à concevoir une Afrique organisée avant la colonisation.

Dans ces conditions, le récit de la vie de la reine Njinga que propose Linda M. Heywood, conséquent, étayé, précis et abordable par tous, revêt un caractère incontournable. L’auteure, professeure d’histoire à l’université de Boston, a mis neuf ans à réunir la documentation nécessaire à sa rédaction et à composer cette somme balayant la vie d’une reine dont le nom, en Afrique, au Brésil, au Portugal et au Vatican, résonne de mille mots, gravures ou statues (dont celle qui orne les rues de Luanda, de nos jours). Neuf ans : tel fut le prix à payer pour extraire l’essentiel de documents répartis entre des sources portugaises, italiennes, hollandaises… Pour parcourir les bibliothèques en Angola, au Portugal, en Italie, en France, au Vatican, au Brésil, en Angleterre, aux Pays-Bas… Et pour nous donner à voir aussi (par reproduction de gravures) les cahiers remplis par les témoins, plus ou moins bienveillants, du règne de la reine Njinga, au XVIIe siècle, dans une partie de ce qui est devenu l’Angola.

Récit et archéologie (...)

La colonisation

Il n’est guère possible de dissocier ce règne de la mise en route de la colonisation portugaise et du développement de l’esclavage, devenu un moteur du développement d’un certain capitalisme. Dès 1452 et 1455, les bulles du pape Nicolas V, « Dominator Dominus », autorisent la couronne du Portugal à déposséder « Musulmans, païens et Noirs » et à en faire des esclaves, comme le rappellent les historiens. Selon le principe de terra nullius, le souverain africain n’a aucune prérogative sur son propre pays. Ceci explique une partie des difficultés du règne de Njinga.

Mais ce n’est pas tout. Compte tenu du fait que les écrits sur lesquels il est possible de travailler – et sur lesquels Heywood a travaillé – sont rédigés, pour une grande part, par des colonisateurs, il a fallu et il faut encore beaucoup de patience pour détisser deux éléments toujours mêlés. (...)

À cela s’ajoute l’analyse incontournable de la question de l’esclavage. Qu’il ait existé en Afrique, avant la colonisation, est indéniable ; mais sa réalité s’expliquait par des motifs différents : il consistait en un esclavage de guerre, de conquête, etc., dont les origines somme toute classique faisaient écho à celles qu’ont connu de nombreuses cultures. Mais le développement du grand commerce et de la colonisation modifie les attendus, les circulations et les modes de profit de l’esclavage pratiqué en Afrique. Françoise Vergès, qui préface l’ouvrage, y insiste longuement. Il est question cette fois d’exporter entre dix mille et treize mille esclaves par an – un nombre qui n’a ensuite cessé d’augmenter. Cet esclavage procède de marchandages, mais aussi de rafles et de conquêtes. Durant les quatre années du gouvernement de Mendes de Vasconcelos, plus de cinquante-cinq-mille Mbundu ont été envoyés comme esclaves aux Amériques.

L’ouvrage dresse ainsi, au travers de la vie de Njinga, un panorama de la politique portugaise en Angola. (...)

Du côté de Njinga, on retient sa décision d’imposer à ses partisans qu’elle est désormais, par son règne, un homme et non plus une femme. Ce qui mérite des analyses précises. Elle commence par épouser un homme, mais elle exige de lui qu’il s’habille en femme. Son devenir « roi » et non « reine » est central ici, mais on ne sait pas toujours, en suivant le récit, ce qui tient à la culture autochtone et ce qui relève d’un rapport de force avec le colonisateur. (...)

Plus encore, Heywood raconte comment ce règne s’est d’abord inscrit dans la mémoire populaire, puis dans les récits nationaux postérieurs à la colonisation. Njinga est devenue une icône de la lutte anticoloniale, non sans entraîner aussi dans son sillage des légendes, des ignorances, des symboliques dont elle n’est pas la cause directe.

Njinga prend donc place à la fois au cœur d’une histoire mal connue en Occident, dans une histoire des rapports économiques, dans une histoire interculturelle, et dans une histoire des femmes. Ce qui explique que l’histoire de Njinga se soit aussi imposée comme un récit parallèle aux histoires mieux connues des règnes parallèles d’Elizabeth Ière et de Catherine de Russie.