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Quand un des garde-frontières de l’Europe se rebiffe
Article mis en ligne le 6 août 2021
dernière modification le 5 août 2021

« Crise des migrants à Ceuta : il est temps de sortir d’une certaine naïveté dans le regard porté sur le Maroc » titrait l’éditorialiste du Monde pour commenter le franchissement, par plusieurs milliers de personnes, le 17 mai dernier, de la frontière qui sépare le Maroc de la ville de Ceuta, l’une des deux enclaves espagnoles encastrées dans le territoire marocain. On se demande qui fait le plus preuve de naïveté : l’Union européenne (UE), invitée un peu plus loin, « au nom d’une amitié qui doit rester exigeante, à signifier au Maroc […] que la défense de ses intérêts légitimes ne doit pas le dispenser de traiter décemment sa population – et ses voisins », ou l’éditorialiste ?

(...) L’arrière-plan politico-diplomatique de la « crise de Ceuta » met une fois de plus en évidence l’instrumentalisation de la question migratoire par l’UE et ses partenaires. La décision du président turc Erdogan, en février 2020, de suspendre unilatéralement l’accord UE-Turquie de 2016, en est une de ses manifestations les plus récentes. Riposte aux critiques des gouvernements européens face à l’offensive turque en Syrie, elle a eu pour effet de pousser des milliers d’exilé·es vers la frontière grecque, où les attendait la violence de l’armée grecque aussitôt déployée pour leur en interdire le franchissement [1]. Le « chantage » alors dénoncé par les Européens ne les a pas empêchés, un an plus tard, de pratiquer la politique de l’apaisement avec Ankara, comme l’a crûment résumé Emmanuel Macron : « Si vous dites du jour au lendemain : nous ne pouvons plus travailler avec vous, plus de discussions, ils ouvrent les portes et vous avez 3 millions de réfugiés syriens qui arrivent en Europe [2]. » (...)

Le dénouement du différend hispano-marocain a été bien plus rapide : 48 heures après les premières arrivées à Ceuta, près de 8000 personnes avaient déjà été refoulées au Maroc en application d’un accord conclu entre les deux pays en 1992. L’UE, dont la commissaire aux affaires intérieures a rappelé que « les frontières espagnoles sont les frontières de l’Europe », a été prompte à saluer le rétablissement de la situation.

Le sort des enfants mineurs, que leur âge protège de l’expulsion, est symbolique de ce retournement. Pour les associations espagnoles, qui estiment leur nombre à 1 500 parmi les arrivant·es, ces jeunes doivent être pris en charge dans le respect des droits fondamentaux consacrés par les textes internationaux et la loi espagnole [3]. Mais, dès le début du mois de juin, un communiqué du gouvernement marocain annonçait que le royaume était « disposé à collaborer, comme il l’a toujours fait, avec les pays européens et l’Union européenne, pour le règlement de la question [4] ». Une initiative que la France s’est empressée de louer, à l’instar du commissaire européen au voisinage et à l’élargissement, qui a salué la coopération étroite de l’UE avec le Maroc « pour relever les défis migratoires et faire progresser notre partenariat bilatéral, dans l’intérêt mutuel ».

Personne ne peut être dupe de ces embrassades de façade. La longue histoire de l’externalisation des contrôles migratoires a depuis longtemps démontré que l’UE, loin d’être naïve, connaît le coût humain de la coopération avec ses voisins pour la sécurisation de ses frontières. (...)

Ni naïveté, ni « chantage » : l’épisode théâtral mis en scène à Ceuta par le gouvernement marocain n’est qu’une illustration d’un système de marchandage généralisé qui sacrifie la sécurité des candidat·es à l’exil, et souvent leur vie, aux impératifs conjoints de la politique migratoire et de la diplomatie.