
Des réunions entre ministres européens avec des bouteilles de Coca-Cola bien en évidence. Des sites web officiels où les symboles de l’Union européenne se mélangent avec les logos de sponsors. Des diplomates baladés en BMW ou en Renault devant les caméras. Inconcevable, mais vrai : depuis quelques années, l’habitude s’est installée de faire sponsoriser la présidence tournante de l’Union européenne par des grandes entreprises. La France, qui s’apprête à prendre cette présidence pour 6 mois en janvier 2022, n’a pas exclu d’avoir recours elle aussi à des mécènes privés. L’Observatoire des multinationales s’associe à une pétition lancée par Foodwatch et Corporate Europe Observatory pour exiger qu’elle y renonce.
En 2017, la présidence de l’Estonie était sponsorisée par Microsoft, Mercedes et BMW, et celle de Malte par les mêmes BMW et Microsoft, plus la compagnie aérienne nationale Air Malta. En 2018, la présidence autrichienne de l’Union était sponsorisée par Porsche, Audi, Microsoft et quelques autres. En 2019, la Roumanie a fait appel à Coca-Cola, Renault et Mercedes, et la Finlande à BMW. En 2020, la Croatie a accepté les cadeaux de Peugeot Citroën et d’une compagnie pétrolière, INA. En 2021, le Portugal a fait sponsoriser sa présidence par plusieurs entreprises nationales, dont l’entreprise papetière The Navigator Companies. Seule exception : l’Allemagne, qui a renoncé en 2020, sous pression de la société civile, de recourir à ce type de sponsorship pour sa présidence.
Les présidences de l’Union européenne doivent-elles être réduites au même triste sort que les grands événements sportifs ou culturels dans le monde d’aujourd’hui : celui de support pour les logos de grandes multinationales ? Au-delà de la publicité offerte à bon marché à leurs produits pas toujours très vertueux (boissons sucrées, voitures individuelles, pétrole), le sponsoring privé des présidences de l’UE offre à des entreprises comme Renault ou Coca-Cola un accès privilégié aux décideurs, pour mieux faire passer leurs idées et leurs priorités et imposer leur agenda politique.
La pratique du sponsoring des présidences est décriée de toutes parts : par la société civile, par la Médiatrice de l’Union européenne, et jusque dans les rangs des députés européens macronistes, qui ont demandé au gouvernement français de ne pas y avoir recours. Pourtant, l’option est clairement à l’étude. Au printemps dernier, le secrétaire d’État aux affaires européennes Clément Beaune déclarait à Mediapart : « Il n’y aura pas de financement privé de la présidence, pas de ’sponsorship’. Le seul débat que l’on ouvre, et qui sera mené de manière transparente, c’est de savoir si, sur des sujets ponctuels, il peut y avoir un soutien matériel. Je prends un exemple très concret : qu’un constructeur automobile français prête des voitures électriques pour un événement, parce que cela rentre par ailleurs dans nos priorités pour le climat. C’est le maximum que l’on s’autoriserait, en termes d’implication du monde de l’entreprise. »
Cette distinction entre soutien financier et soutien en nature est parfaitement hypocrite : la plupart des sponsors passés des présidences tournantes de l’UE ont eux aussi apporté leur soutien en nature. C’est précisément ce qui les intéresse : pouvoir placer leurs produits.
Toute forme de sponsoring privé des présidences de l’Union européenne est inacceptable. L’Observatoire des multinationales s’associe à Foodwatch et à l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory pour lancer une pétition en ligne demandant à la France d’être exemplaire et d’envoyer un message fort aux citoyen.nes et aux autres États membres en refusant ces accords douteux, qui n’ont pas leur place dans notre démocratie.