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BASTA !
Quand des citoyens se soulèvent face à l’industrie automobile et ses pollutions
Article mis en ligne le 1er mars 2020
dernière modification le 28 février 2020

Le règne de l’industrie automobile en Allemagne arrive-t-il à sa fin ? Déjà secouée par le scandale du « dieselgate », la toute-puissance de BMW et de Volkswagen vacille face à la volonté de nombreux citoyens de libérer les villes de la pollution automobile.

les citoyens et les villes allemandes sont de plus en plus nombreux à s’attaquer à cette vache sacrée. « Les initiatives locales pour refouler la voiture hors des villes se multiplient, se réjouit Tina Velo. Beaucoup de gens s’engagent pour améliorer les infrastructures cyclables par exemple, tandis que d’autres militent pour la gratuité des transports en commun. » Cette trentenaire qui témoigne sous un nom d’emprunt est la porte-parole du groupe Sand im Getriebe, « le grain de sable dans l’engrenage ». Rattaché à Attac, ce mouvement réclame l’exclusion complète de la voiture individuelle des métropoles allemandes. Pour Tina Velo, c’est un combat écologique majeur : « Les transports sont le seul secteur où les émissions de CO2 n’ont pas baissé depuis les années 1990. C’est en partie à cause de cela que l’Allemagne ne va pas atteindre ses objectifs climatiques. » (...)

En 2007, l’Allemagne s’était fixé l’objectif de réduire ses émissions de CO2 de 40 % d’ici à 2020 par rapport à leur niveau de 1990, et de 55 % d’ici 2030. Malgré un fort développement des énergies renouvelables, le pays est loin du compte. À ce jour, la baisse n’est que de 32 %. Quant aux voitures, si elles rejettent individuellement moins de CO2 que dans les années 1990, elles sont plus nombreuses sur les routes. Selon l’Office fédérale de l’environnement, les émissions globales des voitures particulières ont augmenté, de 0,5 %, entre 1995 et 2017.

Pour se faire entendre, Tina Velo et un millier d’activistes ont bloqué le Salon international de l’automobile à Francfort le 15 septembre 2019. La veille, entre 18 000 et 25 000 personnes défilaient dans la ville contre « cette industrie destructrice ». L’amour inconditionnel de la voiture semble donc en avoir pris un coup. Il faut dire que le scandale des moteurs diesel truqués, le « Dieselgate », est passé par là, et a quelque peu écorné l’image du fleuron de l’économie allemande. (...)

« Les constructeurs automobiles figurent parmi les plus gros donateurs des partis politiques »

« Il ne peut être dans notre intérêt d’affaiblir l’industrie automobile au point qu’elle n’ait plus la force d’investir dans son propre avenir », disait la chancelière allemande en 2018 devant le Bundestag. Les chiffres sont effectivement éloquents. En 2017, l’industrie automobile a généré presque 426 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 64 % à l’export. Elle emploie plus de 830 000 personnes. « Il y a des liens personnels forts entre le politique et l’automobile, notamment dans l’entourage proche d’Angela Merkel », souligne Christina Deckwirth, politologue au sein de l’association LobbyControl. (...)

Selon des informations du magazine Der Spiegel, Eckart von Klaeden n’aurait d’ailleurs pas hésité à faire jouer ses relations au gouvernement pour lutter contre des tests d’émissions plus stricts. En 2015, la Commission européenne voulait en effet améliorer les tests en conditions de conduite réelle. Dans un courriel à la Chancellerie en mars 2015, le lobbyiste écrivait : « Ce qui, à première vue, pourrait sembler une décision technique mineure peut avoir d’énormes conséquences pour l’industrie automobile en ce qui concerne l’utilisation future des moteurs diesel. » Le projet de la Commission européenne ne peut pas « être accepté », insistait-il. Suite à cette intervention, le gouvernement a changé sa position et supprimé toute date concrète pour l’introduction des tests en conduite réelle. (...)

Les véhicules diesel : plus de 13 000 morts prématurées en Allemagne chaque année (...)

Face à l’inaction des politiques, la société civile a pris le relais. Depuis 2011, l’association environnementale Deutsche Umwelthilfe (DUH) a déposé 35 plaintes contre des villes allemandes pour les obliger à respecter les normes européennes. D’autres organisations environnementales, comme Bund (la branche allemande des Amis de la terre), poursuivent le même combat. Des premières victoires sont remportées. (...)

Les interdictions des véhicules diesel en ville provoquent la controverse

Si la nouvelle n’a pas provoqué de tollé parmi les conducteurs berlinois, la Chambre d’industrie et de commerce de Berlin désapprouve cette mesure. (...)

L’industrie automobile mise sur les voitures électriques

« Nous n’avons pas besoin de nouvelles murailles autour des villes comme nous en avions au Moyen Âge », s’insurge Joachim Damasky, directeur général technique et environnement de l’Association de l’industrie automobile allemande (VDA), lobby du secteur. Selon lui, exclure les voitures revient à négliger tout un pan de la population. « Comment feront les gens qui sont obligés de faire la navette pour leur travail car ils n’ont pas les moyens de s’offrir un appartement dans le centre-ville ? Développer les transports en commun est une bonne chose, mais cela coûte cher et prend du temps. » Pour lui, l’avenir serait la voiture électrique. Et sur ce point, l’industrie automobile ferait sa part de l’effort : « Sur les trois prochaines années, nos entreprises vont investir 40 milliards d’euros dans l’électromobilité et les techniques de propulsion alternatives », vante ainsi le représentant du secteur automobile.

La voiture électrique était d’ailleurs à l’honneur au Salon de l’automobile de Francfort de 2019. Pour Tina Velo, ce n’est rien de plus que de l’écoblanchiment : « Déjà, ces investissements arrivent bien trop tard. Par ailleurs, la voiture individuelle en ville pose d’autres problèmes que la pollution. Entre les routes et les places de stationnement, elle prend une place folle dans nos métropoles. Sans compter les risques d’accident. La voiture électrique ne change rien à tout cela. C’est pour cela que nous réclamons des villes sans voitures. »
Berlin investit massivement dans les alternatives à la voiture (...)

le « Dieselgate » est loin d’être le seul scandale à avoir égratigné l’image de la voiture « made in Germany ». En 2017, Der Spiegel révélait que BMW, Daimler et Volkswagen s’étaient entendus pendant des années pour éviter toute concurrence sur le développement de technologies permettant de réduire les émissions de leurs voitures. En septembre 2018, la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie contre les trois constructeurs pour pratiques anticoncurrentielles. En avril 2019, elle a transmis ses griefs aux industriels qui peuvent maintenant tenter de se défendre. Si leur réponse ne satisfait pas l’exécutif européen, il pourra leur infliger une amende allant jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaire.

Malgré tout, « le gouvernement fédéral continue de défendre les intérêts des grands constructeurs », regrette Christina Deckwirth. « Reste que ces différents scandales ont fait les gros titres ici, et ils ont mis lumière l’importance du lobby automobile en Allemagne. Cela a lancé une vraie discussion sur le sujet. C’est un premier pas vers un changement de politique. »