
A Toulouse, le géant du BTP Vinci veut édifier un ensemble immobilier écolo-compatible, avec espaces verts, jardins partagés, une résidence senior, une crèche, des bureaux et logements collectifs. Petit problème, les sols et la nappe phréatique sont pollués aux hydrocarbures et aux métaux lourds, surtout au plomb.
Mais de la mairie à la préfecture, personne ne semble s’inquiéter de la construction de centaines de logements sur un ancien site industriel. Et sans alerte de la part de riverains ou de citoyens, aucun compte ne sera demandé à Vinci sur les éventuels travaux de dépollution. Enquête. (...)
Deux projets bloqués par la crise et les riverains
Petit retour en arrière : fin des années 90, l’entreprise Fournie-Grospaud, propriétaire du site, spécialisée dans les équipements électriques (armoires électriques, câblages..) est rachetée par Vinci Énergie. Laquelle hérite de ce terrain, truffé de hangars, bâtiments divers et bureaux. En mai 2007, Vinci Énergie signe une promesse de vente avec une autre filiale du groupe, Vinci Immobilier. Cette dernière envisage de lancer sur ces parcelles un juteux programme immobilier articulé autour de six immeubles de trois étages, qui accueilleront 246 logements. Un mois et demi plus tard, fin juin 2007, le permis de construire est délivré par la mairie de Toulouse. Mais en 2008, avec la crise bancaire et financière qui assombrit le marché mondial, l’immobilier dégringole, Vinci Immobilier suspend son projet. « Nous vendions sur plan. Et à ce moment-là, plus personne ne voulait investir dans la pierre », se remémore une chargée de com’ du groupe. Fin du premier acte.
En 2010-2011, la municipalité, alors dirigée par le socialiste Pierre Cohen, décide d’un nouveau plan local d’urbanisme qui privilégie les constructions verticales pour en finir avec l’étalement urbain. Le terrain de Vinci est désigné par la mairie pour accueillir plusieurs immeubles de quatre à huit étages, soit au total 600 logements. Quitte à sacrifier quelques maisons toulousaines et à faire de l’ombre à celles qui restent. « Nous avons aussitôt créé une association de quartier de 200 membres, récolté 845 signatures, accroché une cinquantaine de banderoles sur nos maisons, organisé des repas de rue, prévenu les médias. La mairie a reculé », se félicite encore aujourd’hui Catherine Denoel, présidente de l’association Ilot Lapujade. Une belle bagarre qui, au final, a permis aux riverains de poser des gardes-fous pour les futurs projets immobiliers qui toucheraient leur quartier. (...)
d’après quatre rapports que s’est procuré Basta !, la pollution des sols et de la nappe phréatique est bien plus problématique que Vinci Construction ne voudrait le laisser croire... En août 2006, Calligee, bureau d’étude d’expertise et de conseil en ingénierie de l’environnement, avec 25 ans d’expériences, est missionné par Vinci Énergies pour « réaliser un diagnostic de (non) pollution des sols ». Ce premier rapport de 39 pages s’intéresse à « l’étude de l’historique et de la vulnérabilité » du terrain. On y apprend que la nappe phréatique se trouve à seulement trois mètres de profondeur. Et surtout on découvre le passé industriel de ce terrain. (...)
En septembre 2006, nouveau rapport, cette fois-ci de 53 pages. Les sondages ou « investigations de terrain avec prélèvements et analyses des sols » ont été menés. Résultat : « Des teneurs en arsenic, plomb et hydrocarbures totaux supérieures à la VDSS [valeur guide de sécurité, ndlr] ont été repérées ». Au niveau de la qualité des eaux souterraines, « les teneurs en hydrocarbures et métaux relevées sur les sols amènent à se préoccuper des eaux souterraines », « la nappe a pu être impactée par ces pollutions ». (...)
Qu’en pense la mairie, qui s’apprête d’ici l’été à délivrer le permis de construire ? « Nous n’avons aucune information là-dessus. Même si c’est un peu aberrant, en tant qu’instructeur, ce n’est pas notre problème. Nous délivrons le permis uniquement en fonction du respect des critères du plan local d’urbanisme. On leur fait confiance », réplique le service presse de la mairie de Toulouse. Et la préfecture ? « Nous avons connaissance d’une ancienne activité de compression sur ce site, avec un rapport de déclaration de fuite de gazoil, mais le reste est inconnu de nos services », détaille Olivier Delcayrou, directeur de cabinet du préfet de la Haute-Garonne.
Quelles garanties que Vinci prendra les mesures nécessaires ? Quel contrôle par les pouvoirs publics ? « Nous sommes ici sur un régime de déclaration et non d’autorisation. Ce qui signifie que c’est au porteur de projet d’assurer les études et la dépollution des sols », explique Olivier Delcayrou. Personne, à part l’entreprise propriétaire, ne semble avoir la mémoire de l’histoire industrielle du site. « En cas d’alerte, on pourra toujours leur demander des comptes », précise le responsable de la préfecture. C’est peut-être le bon moment...