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Qu’est-ce que la féminité ?
Article mis en ligne le 29 mai 2016
dernière modification le 23 mai 2016

Il y a des pays où les femmes n’ont pas le droit de circuler à califourchon sur des mobylettes, afin qu’elles restent « femme ». Il y a d’autres pays on l’on encourage les athlètes à se faire couper le clitoris pour pouvoir courir dans la catégorie « femme ». Qu’est-ce qui est pire ?

Le 2 janvier 2013, Suaidi Yahya – maire de Lhokseumawe (la deuxième plus grande ville de la province indonésienne d’Aceh) – annonce qu’il va interdire aux passagères de chevaucher les deux-roues, conformément aux préceptes de la charia (?). « Il n’est pas décent pour une femme d’être assise à califourchon. Nous appliquons la loi islamique ici », dit-il. Sous prétexte que cette position donnerait aux femmes un air trop masculin ou trop provocateur, au choix, il leur est désormais interdit d’écarter les jambes à l’arrière d’une moto. Elles doivent s’asseoir en amazone, juchées en équilibre instable derrière le pilote. Tant pis si cela met leur vie en danger. C’est plus féminin, estime le maire, qui commente : « Nous souhaitons honorer les femmes par le biais de cette loi, car ce sont des créatures fragiles ».

La femme est une créature à fragiliser

Il peut paraître contradictoire d’exposer les femmes à un risque de chute aggravé sous prétexte qu’elles sont plus fragiles. Mais les contradictions relèvent souvent d’une logique imparable : l’entreprise de dressage mental passe par celui des corps. Pour que les femmes aient l’air d’être « naturellement » fragiles, il faut les fragiliser et cela peut passer par toutes sortes de biais. On peut les contraindre à marcher sur des talons aiguilles, par exemple. A cultiver le look famélique. A réduire la taille de leur sexe (demanderait-on aux hommes de se faire faire des réductions de pénis ?). Ou à monter en amazone. Raison pour laquelle il serait vain de conspuer Suaidi Yahya. Car son raisonnement, tout absurde qu’il soit, est le même qui pousse couramment de jeunes occidentales à s’imposer des régimes qui les fragilisent à vie : 90 à 97% des anorexiques sont des filles. Toutes souffrent de carences osseuses irréversibles. Voilà comment se fabrique l’image de la féminité.

« Si tu cours trop vite, ton utérus va tomber »

Dans la plupart des sociétés humaines, la féminité est artificiellement construite sur la base d’un discours qui impose le devoir d’être plus faible, plus fine, plus légère, plus vulnérable, plus chancelante, plus tendre et plus périssable. Ce discours s’appuie sur des pratiques visant à empêcher la femme de se muscler, de se nourrir, de s’instruire ou de se défendre comme les hommes. Ces mesures prennent la forme de pénalités. En Occident, les femmes n’ont pas le droit de courir le marathon jusqu’à une époque récente. « On disait aux femmes : si tu te fatigues trop, ton utérus va tomber ». Ainsi que le raconte l’Américaine Kathrine Switzer, la première femme à terminer un marathon avec un dossard enregistré, même les médecins participent à la désinformation. 42 kilomètres de course ? Impossible pour un corps féminin, disent-ils. Il faut voir le film Free to run (sorti en salles en février 2016) pour comprendre. (...)