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Entre les lignes, entre les mots
Postface « Qu’est-ce que je peux faire, moi ? » d’Alain Deneault au livre de François Samson-Dunlop : Comment les paradis fiscaux ont ruiné mon petit-déjeuner
Article mis en ligne le 13 mai 2019

Parler des paradis fiscaux sur un mode critique suscite immanquablement la question : « Mais qu’est-ce que je peux faire, moi ? » Certains préciseront : « Moi, comme simple citoyen démuni » ou « comme simple individu isolé » ? François Samson-Dunlop a fait la démonstration par l’image, et par l’absurde, de l’impossibilité de se mobiliser contre les paradis fiscaux de manière strictement individuelle. Nous formons des peuples et c’est en se mobilisant collectivement que nous parviendrons à établir un rapport de force sur ce front

L’auteur ne nous invite donc pas à baisser les bras ou à mettre fin à toute tentative de boycottage, par exemple, mais il soutient au contraire implicitement une lutte de nature politique contre les paradis fiscaux ainsi que le développement de formes nouvelles de production qui esquivent le formidable appareil industriel des multinationales. (...)

Critiquer les paradis fiscaux n’est pas une chose vaine. Parce que les nombreux volets de ce discours se déploient aussi longtemps qu’on persiste à l’entretenir, il s’est trouvé repris par maints acteurs sociaux différents, au point de faire l’objet d’une étrange unanimité de la gauche à la droite du spectre politique. C’est l’histoire du lionceau abandonné que Jean de Lafontaine relate, celui qu’on aura adopté le long du chemin, puis nourri, au point d’en faire imperceptiblement un redoutable animal, qui détruit tout sur son passage. Voilà ce à quoi fait penser la critique des paradis fiscaux. Il s’agit d’un objet de pensée des plus légitimes qu’on pose innocemment là devant, même les médias de masse s’en emparent, tout le monde s’émeut de l’injustice dont ils témoignent : de très riches contribuables contournent grâce à eux le fisc tandis qu’on peine à financer collectivement nos services publics. Dans le premier cercle, des professeurs de droit fiscal ou leur double dérisoire, les psittacistes de la bonne gouvernance, s’assurent de contenir l’enjeu dans le domaine de la réflexion technique. Sauf quand ils ont, comme Brian Arnold ou André Lareau, de la culture et de l’esprit, le comment l’emporte sur le pourquoi. Tout devient quincaillerie, mesures, lois, règlements. C’est alors très complexe, et tout changement s’annonce conséquemment compliqué.

Mais pour les citoyens curieux qui ne succombent pas à cette rhétorique viennent de surcroît les questions : qui profite des stratagèmes fiscaux offshore ? Qui offre les services à ces gens ? Que font les gouvernements ? Combien cela nous coûte-t-il ?… Cette ouverture débouche inévitablement sur le fait de nombreuses collusions entre le monde des affaires et celui de la politique.(....)

La série de scandales ayant porté les noms d’Offshore Leaks, Swiss Leaks, Lux Leaks, Panama Papers ou Paradise Papers, ne nous donne aucune de raison de croire que les responsables politiques, au vu du milieu dont ils proviennent ou auquel ils doivent leur élection, aient quelque motif sérieux de faire la lutte aux paradis fiscaux.

On comprend alors que ces derniers font partie du décor capitaliste, que les États ont rendu possible jusqu’à leur existence, car le raisonnement enclenché nous fait lorgner vers leur histoire. La plupart des législations de complaisance relèvent de la Couronne britannique, ce sont souvent des banquiers canadiens qui ont élaboré leurs lois au milieu du XXe siècle, les États-Unis qui leur ont ensuite offert leur bénédiction.

Il y a lieu de pousser encore plus loin l’analyse, et de faire entrer le crime organisé dans l’équation, le rôle des mafias et de l’argent sale dans les caisses noires des partis politiques et l’agir même de certaines organisations publiques, comme les douanes, les agences fiscales, la police, le transport, l’administration des municipalités… Les paradis fiscaux prévoient les paravents nécessaires à la gestion de fonds occultes. (...)

En plus des paradis fiscaux, on se mettra à considérer aussi les zones franches qui asservissent des hordes de femmes et d’hommes y vendant au rabais leur force de travail, les ports francs permettant sans aucune contrainte l’immatriculation des navires, les paradis réglementaires comme les Caïmans favorisant la finance à risque… (...)

C’est alors le capitalisme en tant que tel qui passe pour cette force aveugle ayant comme principales figures des banques et des multinationales qui opèrent brutalement dans l’impunité, grâce à ces législations de complaisance et à ces « États de droit » qui les ont rendues possibles. (...)

La conscience aiguë qu’on peut alors avoir des paradis fiscaux est de nature à neutraliser la propagande habituelle sur le fonctionnement de l’État de droit, la rigueur du système judiciaire, les bienfaits de l’économie de marché, la souveraineté des États… Dès lors que les paradis fiscaux et autres législations de complaisance sont ramenés dans l’équation, plus rien ne peut tourner rondement dans les têtes. François Samson-Dunlop illustre un temps dans lequel le refrain idéologique s’enraye dès lors qu’on prend au sérieux cette critique. (...)

Il fait bon voir l’entrée en scène de personnages qui, dans un quotidien pouvant paraître dérisoire, refusent cet état de fait, et personnifient l’acte de se consacrer à autre chose. L’histoire, la grande, nous dira où nous mènera collectivement cette propension…