
Notre monde est devenu fou. Probablement parce qu’il nous échappe.
Reprendre pied dans une civilisation devenue trop complexe pour notre façon de faire société supposerait une forme d’intelligence nouvelle, fusion d’unicité individuelle et de sagesse collective.
Cette utopie nécessaire permet d’interroger la notion de politique publique comme problème démocratique et, en prenant l’exemple de la doctrine technique du numérique en santé et du concept d’état plateforme, de montrer qu’un domaine qui réifie les citoyens génère une mécanique technocratique purement séquentielle qui bannit toute alternative, donc toute innovation, donc toute intelligence.
A partir de cet exemple de domaine devenu proprement impensable et de l’apport d’auteurs modernes, je vous ferai une proposition de vote que j’espère de rupture au concept d’homme providentiel et d’éveil à votre propre individuation.
Parallèlement, si les terribles images de l’Ukraine en guerre sont dans tous nos esprits, j’ai souhaité illustrer cet article, volontairement tourné vers l’avenir, avec des photographies d’une Ukraine forte et belle tirées de Image Bank Ukraine. (...)
si sans une technologie adaptée on ne fait rien qui vaille, à l’opposé, quelle que soit la magie technologique, on ne fera rien qui mérite l’intérêt si on ne tient pas compte du fait que le « patient » est avant tout une personne pleine et entière et même, idéalement, un citoyen éclairé.
Afin de rendre ce document accessible à tous, mon fil directeur sera de m’attacher à la personne, son histoire et sa trajectoire et plus précisément à la façon de les raconter et de les organiser. (...)
En pratique, pour ne pas, par volonté explicite ou maladresse technique, inféoder la vie à la raison, il est indispensable de se doter de moyens narratifs qui dépassent considérablement les outils du comptable.
C’est un authentique défi, et même tout l’enjeu du numérique en santé : sortir des systèmes « déversware », comme le DMP, qui empilent sans raconter. L’ambition de ce texte est de démontrer que c’est non seulement possible, mais surtout vital... que ce soit en médecine, en santé-social ou, au-delà, pour faire advenir une forme démocratique moderne.
Raconter
Même si ça peut paraître étonnant de prime abord, il faut constater que tout système d’information (quel que soit le domaine et la taille de la structure qui l’utilise) est conçu pour raconter d’une certaine façon un certain type d’histoire. Généralement dans le but de l’organiser, de guider l’action. (...)
si sans une technologie adaptée on ne fait rien qui vaille, à l’opposé, quelle que soit la magie technologique, on ne fera rien qui mérite l’intérêt si on ne tient pas compte du fait que le « patient » est avant tout une personne pleine et entière et même, idéalement, un citoyen éclairé.
Afin de rendre ce document accessible à tous, mon fil directeur sera de m’attacher à la personne, son histoire et sa trajectoire et plus précisément à la façon de les raconter et de les organiser.
C’est un authentique défi, et même tout l’enjeu du numérique en santé : sortir des systèmes « déversware », comme le DMP, qui empilent sans raconter. L’ambition de ce texte est de démontrer que c’est non seulement possible, mais surtout vital... que ce soit en médecine, en santé-social ou, au-delà, pour faire advenir une forme démocratique moderne.
Raconter
Même si ça peut paraître étonnant de prime abord, il faut constater que tout système d’information (quel que soit le domaine et la taille de la structure qui l’utilise) est conçu pour raconter d’une certaine façon un certain type d’histoire. Généralement dans le but de l’organiser, de guider l’action.
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Par ailleurs, dans un domaine comme la médecine où existent de nombreux métiers et de multiples spécialités, cette faible expressivité conduit chaque acteur à utiliser les formulaires les mieux adaptés à son activité spécifique, à l’ensemble le plus précis possible des informations qui outillent sa propre capacité déductive. Cette approche entraîne mécaniquement un effet de « silos » car il ne s’agit plus de raconter l’histoire de Madame Dupont, mais d’accumuler ici les données qui intéressent son cardiologue, là celles qui outillent la démarche de son infirmière, ailleurs celles qui ont été recueillies à l’hôpital afin de déterminer le meilleur créneau pour l’opérer, etc. Ce sont autant de pièces de puzzle qui ne connectent pas car elles ne sont pas créées dans le but de raconter l’histoire de la personne concernée, ni même sa trajectoire médicale, mais comme des notes professionnelles d’utilité locale et souvent ponctuelle. (...)
On peut légitimement se demander pourquoi les autorités françaises ont tourné le dos à un standard européen très prometteur pour tomber sous le charme naufrageur des sirènes de l’interopérabilité. Il ne s’agit pas, en tout cas, d’un manque de disponibilité des acteurs car l’un des pères de la norme européenne est un français, François Mennerat, et que l’inventeur des archétypes, Thomas Beale, réside à Londres et parle parfaitement français. La raison est malheureusement triviale : les concepteurs initiaux du DMP n’avaient que deux ans pour généraliser l’idée géniale du ministre d’alors « à tous les français » ; ils ont donc choisi « un truc industriel déjà sur étagère », préférant n’importe quel standard réputé prêt à l’emploi à une technologie d’avenir (que, par ailleurs, ils comprenaient probablement mal).
Cet impératif de la généralisation « du DMP nouveau » (et maintenant de l‘ENS) sous deux ou trois ans est une constante de la commande politique, ce qui explique qu’aucun de ces échecs n’a jamais fourni l’occasion de repartir sur des bases saines et que les choix conjoncturels plutôt idiots de 2005 s’imposent encore à tous en 2022.
Il faut reconnaître que la France n’est pas le seul pays à s’être entêté dans l’illusion confortable (car connoté référence industrielle internationale), mais chère et vaine de l’interopérabilité. (...)
Quoi qu’il en soit, opposer un standard de dossier flexible à des dossiers figés et hétérogènes soit disant interconnectables par des messages d’interopérabilité, c’est rester dans une logique qui mène mécaniquement vers la mise en place de plateformes car les échanges d’un praticien à un autre ne garantiront jamais que les informations utiles ont été transmises hier à la personne qui en a besoin aujourd’hui. (...)
On ne peut que constater que la forme démocratique en place mène inéluctablement à des citoyens toujours moins éclairés et à des politiques qui prétendent organiser un monde devenu bien trop complexe pour ce mode de gouvernance hiérarchique pyramidal. (...)
Il y a, par contre, un vote que vous pouvez effectuer pour réellement changer les choses : refuser « Mon espace santé ».
Refuser « Mon espace santé », c’est exprimer votre refus d’une politique publique à la fois catastrophique pour le domaine santé-social et authentiquement anti-démocratique. C’est tout simplement affirmer que vous pouvez avoir une opinion. Et ça, je vous garantis que ceux qui ont décidé, puisque l’adoption volontaire du DMP a toujours été très faible, de vous inscrire d’office à l’espace de santé numérique ne s’y attendent pas.
Souvenez des mots de Jaurès, si anciens, si superbement modernes et si cruellement démonstratifs du terrain à (re)conquérir : « Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action. [...] Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale. »
Refusez « Mon espace santé », vous méritez tellement mieux et il est encore temps de l’exprimer.