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Privés de langue
Histoire de la répression sociale et politique de la langue des Sourds
Article mis en ligne le 14 décembre 2016
dernière modification le 9 décembre 2016

Depuis la fin du XIXe siècle, les personnes Sourdes [1] ont été successivement privées du droit puis de la possibilité d’apprendre (dans) leur langue, la langue des signes. Entravées, elles n’ont cessé de lutter pour s’exprimer et la faire vivre. Cet article revient sur cet épisode peu connu des violences intégrationnistes dont est capable la République française, et les luttes qu’elles ont suscitées.

« VIVA LA PAROLA ! » Une mise à mort qui tient dans un cri, lancé en septembre 1880 par un chapelet d’ecclésiastiques, d’instituteurs et de directeurs d’établissements en clôture du Congrès de Milan. Cri aussitôt transcrit en loi par la république jules-ferriste : la langue des signes est interdite dans les écoles pour personnes Sourdes en France avant la fin de l’année. Cette sentence n’est que le funeste aboutissement de la pathologisation progressive des Sourds au cours du XIXe siècle, alors que les médecins gagnent en influence dans une IIIe République qui sacralise l’idée de progrès [2].

La langue des signes venait pourtant de vivre un siècle d’or – et de duels. À la suite de l’Abbé de l’Épée, qui ouvre en 1755 le premier institut du monde à enseigner dans cette langue, des dizaines d’écoles sont créées par une communauté intellectuelle, artistique et scientifique Sourde très dynamique. S’institutionnalisant, elle devient langue de transmission de savoirs. En face, se tiennent les disciples d’une vision de la surdité comme déficience, comme maladie à « soigner » par la pédagogie oraliste – en attendant d’avoir mis au point un remède miracle. Pour eux, la langue des signes n’est guère plus qu’un vulgaire amas de mimiques empreintes d’animalité et forgées par la nécessité humaine d’une communication primaire. Au tournant du siècle, leur paradigme s’impose.

Mains indociles et linguistique dissidente

Seule langue qui permette réellement aux personnes Sourdes [3] de s’exprimer, de se développer cognitivement et de communiquer, elle entre alors en résistance. Dans les internats notamment. Regroupés entre eux, les élèves Sourds, privés de langue et contraints d’apprendre à oraliser avec d’austères orthophonistes des sons qu’ils n’entendent pas, bravent les punitions et la pratiquent clandestinement. En classe, dès que le professeur a les yeux plantés dans le tableau noir. Ou encore au réfectoire, dans les dortoirs et les couloirs, remisant fissa leurs mains sitôt que le parquet vibre sous les pas autoritaires du dirlo. Interdite, la langue des signes vit, se déploie, se dé(sen)chaîne. Se rabougrit aussi parfois, quand la répression est trop dure. Face à l’oralisme rigoriste, les signes sont un maquis dans lequel la culture Sourde continue de s’affirmer en attendant des jours meilleurs.

Il faudra attendre plus d’un siècle, 1991 plus précisément, avant que l’éducation en langue des signes soit autorisée dans la loi, suite aux luttes menées par les personnes Sourdes. (...)

Avec la loi de 1991, le principe de l’éducation en langue des signes gagne une existence légale mais la LSF n’est officiellement reconnue comme langue qu’en 2005, alors que le cursus bilingue entre dans le giron de l’Éducation nationale.

Autant de bonnes intentions qui ne sont pas suivies en moyens : aujourd’hui, quatorze villes accueillent au moins une classe bilingue, uniquement en primaire pour la plupart, et seules trois villes proposent un cursus de la maternelle au lycée. Ces classes sont par ailleurs régulièrement menacées de fermeture. Pour la quasi-totalité des enfants Sourds, la scolarité s’effectue soit en « intégration en milieu ordinaire », qui consiste à les parachuter un à un dans des classes de « normo-entendants » sans l’ombre d’un compagnon Sourd, soit en institut médico-éducatif pour « jeunes déficients auditifs ». Des termes comme la langue médicale en raffole et qui portent en eux toute la violence vécue par les personnes Sourdes : la réduction d’une différence à un handicap. (...)

Avec la loi de 1991, le principe de l’éducation en langue des signes gagne une existence légale mais la LSF n’est officiellement reconnue comme langue qu’en 2005, alors que le cursus bilingue entre dans le giron de l’Éducation nationale.

Autant de bonnes intentions qui ne sont pas suivies en moyens : aujourd’hui, quatorze villes accueillent au moins une classe bilingue, uniquement en primaire pour la plupart, et seules trois villes proposent un cursus de la maternelle au lycée. Ces classes sont par ailleurs régulièrement menacées de fermeture. Pour la quasi-totalité des enfants Sourds, la scolarité s’effectue soit en « intégration en milieu ordinaire », qui consiste à les parachuter un à un dans des classes de « normo-entendants » sans l’ombre d’un compagnon Sourd, soit en institut médico-éducatif pour « jeunes déficients auditifs ». Des termes comme la langue médicale en raffole et qui portent en eux toute la violence vécue par les personnes Sourdes : la réduction d’une différence à un handicap.