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Pourquoi le complotisme séduit autant les femmes
Article mis en ligne le 18 novembre 2020

Elles constituent une majorité des antivax, se sont enamourées de QAnon et défient le port du masque.

« Il existe un programme de lavage de cerveaux dans l’armée américaine. On a eu des témoignages qui attestent qu’il existe des réseaux d’enfants. J’ai vérifié. » Julie* a 37 ans. Depuis le confinement, elle passe plusieurs heures par jour à s’intéresser au complot pédo-satanique qui, selon elle, existerait au plus au haut niveau, parmi les élites mondiales.

Julie ne fait plus confiance ni aux autorités, ni aux médias. Elle est le symbole d’un complotisme de plus en plus banal, répandu, qui séduit un grand nombre de femmes. Alors que la littérature scientifique sur le conspirationnisme indique que ses adhérents sont généralement des hommes, peu éduqués et jeunes, certaines études prouvent que cette vision est trop restrictive. (...)

Un sondage publié par la Fondation Jean Jaurès en septembre dernier indique que 63% des membres de groupes anti-masques sont des femmes. Quand des groupes d’influence anti-vaccins entreprennent des campagnes de publicité sur Facebook, ils visent, en tout premier lieu, les femmes de plus de 25 ans, indique The Daily Beast.
#Savethechildren

Dans ces deux mouvements, anti-vaccins et anti-masques, qui se superposent souvent, un argument revient constamment : la défense de la santé des enfants. Les masques seraient dangereux pour eux et pour leur développement, tandis que les vaccins rendraient autistes. (...)

La défense des enfants a donc un potentiel de mobilisation énorme pour les mères, et plus globalement les femmes. C’est ainsi que les États-Unis ont vu surgir le mouvement « Mother for QAnon », un groupement de soutien à la mouvance conspirationniste qui postule que Donald Trump serait victime de la cabale d’un « deep state », sataniste et pédophile. (...)

Marjorie Taylor Greene, candidate républicaine en Géorgie, est devenue la première adepte de QAnon à être élue au Congrès américain. Des mères de banlieue se sont mises à manifester contre les enlèvements massifs d’enfants que l’on observerait à travers le monde pour assouvir des pulsions pédophiles, ralliées par le hashtag #Savethechildren.

Ces théories se nourrissent de l’affaire Epstein, bien réelle. « Mais la pédophilie existe dans tous les milieux sociaux, explique Sébastien Boueilh, fondateur de Colosse aux pieds d’argile, une association de sensibilisation à la pédocriminalité. Et dans 80% des cas, les violences sont intrafamiliales, et on n’a jamais été confrontés à des réseaux pédophiles jusqu’ici. » (...)

Dans beaucoup de groupes, les publications partagées constituent un flux ininterrompu d’informations sur l’affaire Epstein et de faits divers sordides impliquant des enfants. (...)

Pour toutes les femmes interrogées, l’évitement des médias traditionnels ne relève pas d’une erreur. Elles n’ont pas de problème particulier pour reconnaître une source. C’est un choix délibéré, un pivot vers des contenus « alternatifs » qui est assumé. Et pour les trouver, elles n’ont aucun besoin de fréquenter 4chan, vaste forum très masculin et très libre où est né QAnon, notamment. (...)

Les théories conspirationnistes viennent à elles, sur Facebook ou sur Instagram, dans des montages léchés aux tons pastel. Des instagrameuses qui ne partagent habituellement rien de politique, mais plutôt de la mode, du yoga ou des recettes, publient tout d’un coup des chiffres effrayants mais non étayés sur le trafic d’enfants. Le tout sans mentionner d’affiliation à QAnon. (...)

Tout le monde peut donc s’identifier à ce message : c’est vrai, il faut protéger les enfants. C’est le propre des théories du complot : elles sont mouvantes et quasiment différentes pour chaque individu, qui va les modeler en fonction de son vécu, de son ressenti, de ses obsessions plus ou moins radicales, et de son auditoire. Le confinement et les restrictions sanitaires, doublées de l’insécurité et de l’instabilité provoquées par la pandémie, ont laissé à chacun·e le loisir de suivre et d’alimenter ces théories. (...)

Pourquoi les thèses conspirationnistes sont-elles donc si attirantes ? En incitant à « faire des recherches », et à découvrir par soi-même ce que les puissants refuseront toujours de vous dire, elles flattent l’ego. L’émetteur fait confiance au lecteur pour chercher des réponses par ses propres moyens. (...)

« La pandémie vise à mettre en place une dictature marxiste, à la chinoise. Et Big Pharma fait partie du plan mondial. »

Marie*, 74 ans
(...)

Les théories du complot, pour cette femme dont la famille issue de l’ex-URSS, sont une forme de résistance, d’émancipation par la pensée. « On a toujours dit aux femmes : “Ferme ta gueule, fais la cuisine, fais le ménage”. Moi, j’aimais bien Simone de Beauvoir et Simone Veil. Je veux aider les femmes qui sont dans la masse, qui sont soumises. »

Marie cherche désormais à se procurer le documentaire conspirationniste Hold-Up. Mais format cassette, « au cas où il y aurait de la censure ».