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Pourquoi existe-t-il un monument à la mémoire de soldats nazis en France ?
Article mis en ligne le 22 juillet 2018

Le 28 mai fut discrètement inaugurée une stèle commémorant les quelque 500 prisonniers de guerre allemands morts lors de leur internement au camp de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales.

Ce week-end, un certain nombre de Français et de Françaises auront une pensée ou un geste pour la mémoire des résistantes et résistants du maquis du Vercors, massacrés par les nazis à compter du 21 juillet 1944.

Les rites mémoriels autour de la Seconde Guerre mondiale rythment nos étés, des commémorations du 8 mai 1945 à celles de la Libération de Paris le 26 août, en passant par la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France, le 16 juillet. On célèbre les victimes, les résistantes et les résistants. Mais dorénavant, on peut « en même temps » honorer la mémoire des soldats nazis.

Une stèle a été érigée fin mai en leur nom sur l’ancien site du camp de Rivesaltes, où certains furent faits prisonniers à la Libération –une stèle parmi d’autres, plus anciennes. Ces dernières honorent d’autres personnes passées là, tels les juifs du sud de la France, concentrés à Rivesaltes avant d’être envoyés à Drancy, puis à Auschwitz. La nouvelle stèle vient rendre hommage aux soldats du Troisième Reich, membres de la Wehrmacht et de la Waffen-SS, décédés lors de leur emprisonnement ici.

La mise à niveau paraît incroyable, et la discrétion de l’inauguration du nouveau monument souligne combien le sujet est sensible. Car cette histoire complexe, révélatrice des évolutions de notre société, est source de débats délicats.(...)

Volonté de bien faire
L’initiative de la stèle aux soldats « allemands » revient aux époux Klarsfeld. Le jour de l’inauguration, Serge Klarsfeld a déclaré à la presse locale : « On parle souvent de la tragédie qu’ont vécue les juifs. Mais cela ne nous donne pas le droit d’oublier les autres tragédies. Il fallait penser également aux prisonniers allemands victimes de l’inhumanité. Il s’agit de la première stèle en France pour ces prisonniers de guerre qui n’ont pas été traités correctement au regard de la convention de Genève ». Défendre une conception humaniste, l’amitié entre la France et l’Allemagne : ce sont là de nobles intentions.

Du côté des officiels français, il n’y avait –signe de la gêne– que des représentants du conseil départemental. Mais l’ambassadeur d’Allemagne était présent. Il a bien pris soin de cadrer son propos : « C’est une tragédie qui peut paraître petite par rapport aux autres, mais c’en est une quand même. Cependant, cela ne doit pas éclipser la responsabilité de l’Allemagne dans la Shoah, les millions de juifs que l’Allemagne a assassinés à travers l’Europe. Là est la principale rupture de civilisation. Et cela reste le cœur du travail de mémoire que l’Allemagne doit faire ».(...)

On comprend qu’il existe une volonté de bien faire, très respectable. Si chacun peut –et devrait– réfléchir à la complexité de la question posée par cette gestion de l’histoire, on pourra, en vis-à-vis, poser quelques remarques quant à l’embarras produit par ces bonnes intentions.

Réflexion collective(...)

D’abord, si l’on va à Rivesaltes se recueillir devant la stèle des juifs, des Espagnols, des Tziganes, la tête s’inclinera maintenant aussi pour des soldats nazis. Et si Jérôme Bourbon et ses amis viennent rendre hommage aux hommes du Troisième Reich, il faudra cohabiter.

Jean-Luc Godard plaisantait jadis en affirmant que l’objectivité médiatique consistait en cinq minutes pour les juifs, cinq minutes pour les nazis. Ce n’était pas une provocation, mais une prophétie.

Ensuite, concilier les mémoires, comme il est dit dans le reportage, cela se fait d’abord en faisant de l’histoire. Or la victimisation des PGA rivesaltais repose pour partie sur un retrait du contexte et une exagération des faits.

Les présenter comme des victimes parmi d’autres aboutit à faire de la Seconde Guerre mondiale un grand massacre général, une « guerre civile européenne », où être SS ou républicain espagnol ayant intégré la Résistance française reviendrait au même, tout n’étant affaire que de pauvres bougres brinquebalés par l’histoire. Permettons-nous de rappeler que si les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et inoubliables, c’est parce qu’ils sont impardonnables.

Enfin, si le message est flou, c’est aussi parce qu’il n’est guère collectif. (...)