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Mediapart
Pour les Jeux olympiques, la justice réquisitionnée
#JO2024 #police #justice
Article mis en ligne le 5 août 2023
dernière modification le 4 août 2023

Les tribunaux de Paris, Bobigny et Versailles anticipent une intense activité judiciaire sur la délinquance de rue, particulièrement ciblée par les services de police. Ils ont obtenu des renforts et s’organisent. Au risque qu’une réponse pénale immédiate prenne le pas sur les enquêtes de fond.

Depuis presque un an, les autorités policières s’engagent à « nettoyer Paris » dans la perspective des Jeux olympiques. « Plus on va s’approcher des JO, plus on va saturer l’espace public de policiers », prévenait en avril Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, qui affiche un objectif « zéro délinquance ». Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, promet que « 30 000 policiers et gendarmes » seront mobilisés chaque jour pendant la compétition, qui doit s’ouvrir dans un an, le 26 juillet 2024.

Les policiers sont priés de se concentrer sur la « délinquance de physionomie » (un néologisme créé pour l’occasion), c’est-à-dire la plus visible dans l’espace public, celle qui serait susceptible de déranger les touristes et de poser un problème d’image : les « points de deal », l’usage de crack, la vente à la sauvette, les vols, les rixes, les petites escroqueries de rue, etc.

Le 15 mars, le conseil des ministres résumait le rôle du garde des Sceaux pendant cette période : « organiser de façon optimisée la chaîne pénale, au vu notamment des plans “zéro délinquance” programmés en vue des Jeux par le ministre de l’intérieur et des outre-mer ». La justice ne risque-t-elle pas de se transformer en simple auxiliaire de police ? Les enquêtes d’initiative, les dossiers complexes qui nécessitent du temps vont-ils en pâtir ? (...)

Des renforts en région parisienne (...)

une priorité a été accordée aux juridictions de région parisienne. Dès le mois de septembre, 125 des 333 magistrats sortant de l’École nationale de la magistrature (ENM) doivent prendre leurs fonctions dans les ressorts des cours d’appel de Paris et Versailles. Une proportion inédite (...)

Avec presque 380 juges du siège, Paris serait désormais bénéficiaire par rapport au nombre de postes fixés chaque année par la Chancellerie. Même si cet effectif théorique reste, de l’avis général, sous-évalué par rapport aux besoins.

Une inquiétude demeure, dans toute la région parisienne, sur les renforts attendus au greffe. (...)

Une organisation spécifique avant, pendant et après les JO

Depuis plusieurs mois, les tribunaux s’adaptent au maître-mot de la période : anticiper. Les procureurs de la région échangent régulièrement entre eux et avec la préfecture de police. Des « référents JO » ont été nommés. (...)

les magistrat·es, greffières et greffiers sont appelés à « lisser » leurs congés sur une période plus large, de juin à septembre, pour que les tribunaux continuent à tourner.

Selon les juridictions, le plan de bataille est plus ou moins avancé. Paris a déjà défini trois périodes pendant lesquelles l’organisation du travail sera modifiée. (...)

Du 8 juillet au 25 août, les comparutions immédiates – souvent critiquées pour leur caractère expéditif – seront encore renforcées (jusqu’à trois audiences par jour), partant du principe que cette période atteindra un pic en termes de délinquance. (...)

Priorités policières et priorités judiciaires

Les Jeux olympiques risquent d’aggraver une maladie chronique de l’institution judiciaire : l’obligation d’établir, tant bien que mal, des priorités. « C’est l’attribution des moyens par le ministère de l’intérieur qui va définir la politique pénale », regrette Katia Dubreuil, juge d’instruction à Paris et ancienne présidente du Syndicat de la magistrature (SM).

« Le parquet va ramasser la délinquance ciblée par le ministère de l’intérieur », qui privilégie la voie publique et le flagrant délit, ajoute la magistrate. (...)

Des dossiers JIRS [de criminalité organisée – ndlr] qui représentent des milliers d’heures de travail restent dans les placards, pendant qu’on juge le voleur de portable dans le métro. (...) (...)

une tendance de longue date, déjà critiquée à l’occasion de la réforme de la police judiciaire : les dossiers les plus « rentables » et « faciles à juger » prennent le pas sur ceux qui exigent de longues filatures et des mois d’efforts. (...)

La qualité des procédures en question

Au-delà de l’accent mis sur les flagrants délits, certains magistrats parisiens s’inquiètent aussi d’une tendance à « monter en épingle » des dossiers de faible envergure, mais considérés comme symboliques à l’approche des JO. (...)

Un magistrat du siège de Bobigny, lui aussi témoin d’une « augmentation spectaculaire des affaires de stups » ces derniers mois, espère « qu’on ne nous ramène pas des trucs sans queue ni tête ». « Nous devons juger des affaires qui ont du sens, pas quelqu’un qui a tiré sur le béret d’un supporter irlandais aux abords du stade, sous prétexte que le fiasco du Stade de France ne doit pas se reproduire. » (...)

« Ce n’est pas parce que l’activité policière se concentre sur un certain type de délinquance que la justice suit aveuglément, que les parquets poursuivent et que les juges condamnent », estime Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM), qui revendique une « marge de manœuvre ». Il reconnaît, toutefois, que pendant une période, « l’événement va commander ».

« La question c’est : qu’est-ce qu’on peut faire avec les moyens qu’on a ? Est-ce qu’on fait ça au détriment d’autre chose ? La capacité de la justice, comme celle des services de police, est finie. Si tous les dossiers qu’on nous amène sont des dossiers de voie publique, on peut légitimement avoir une inquiétude sur les contentieux délaissés, les dossiers complexes qu’on va différer un peu ou les violences conjugales. » (...)

« Nous subissons une forte pression », confie pourtant une magistrate anticorruption, qui se prépare à devoir traiter des affaires mineures de pickpockets et vendeurs à la sauvette. (...)

Des scénarios au doigt mouillé

Outre l’activité accrue des services de police, déjà tangible, tous les scénarios prévoyant une augmentation de la délinquance pendant les JO reposent sur des projections incertaines. (...) (...)

« L’après-JO » reste une source d’inquiétude. « Il faudra rattraper tout ce retard », rappelle Aurélien Martini. (...)

Revers de la médaille : ailleurs en France, les tribunaux continuent de crier famine. (...)