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Pour échapper à la reconnaissance faciale, maquillons-nous
/Titiou Lecoq
Article mis en ligne le 2 juin 2021

Afin de se rendre méconnaissable pour les logiciels de reconnaissance, il existe un véritable arsenal de techniques qui passent par l’une de mes passions dans la vie : le maquillage.

De cette crise sanitaire, l’un des éléments qui m’aura marquée, c’est la facilité déconcertante avec laquelle nous avons abandonné une partie de nos libertés –et je m’inclus dans ce « nous ». Je ne vais pas jouer la moralisatrice. Ce qui m’amène à me demander dans quelle mesure cela nous a préparés à une forme d’obéissance au pouvoir politique pour la suite. L’idée de sécurité (sanitaire mais pas seulement) a-t-elle fini par l’emporter ? (...)

Il y avait tout de même un point paradoxal dans la situation. L’État a exigé que nous portions des masques, à l’intérieur et à l’extérieur, alors que jusque-là, il ne cessait de répéter que chaque citoyen devait pouvoir être identifié et donc ne devait pas cacher son visage. Cette généralisation des masques a fait souffler un petit vent de panique dans les entreprises spécialisées en reconnaissance faciale –mais tout est vite rentré dans l’ordre. Elles ont réussi à améliorer leurs outils au point qu’ils sont devenus capables d’identifier une personne même si elle porte un masque. (Le taux d’échec était de 50% au début de la pandémie, il est descendu à 5%...) Porter un masque ne protège plus de la vidéosurveillance.

Maquillage anti-surveillance

De toute façon, le masque semble appelé au minimum à se faire plus occasionnel et, avec la liberté retrouvée, notre retour dans l’espace public, les rassemblements en grand nombre, va revenir sur le tapis la question de la reconnaissance faciale. (...)

un futur tournant s’annonce avec deux gros événements : la Coupe du monde masculine de rugby en 2023 et les JO à Paris en 2024.

Sachant que le marché est évalué à 7 milliards de dollars, les sociétés françaises comme Dassault ou Atos se positionnent déjà pour remporter les contrats. Et la CNIL a annoncé qu’elle ne donnerait pas forcément un avis négatif à l’usage de cette technologie lors de ces événements. (Avec un couplage de deux technologies, à savoir des drones qui serviraient à la reconnaissance faciale.) (...)

aux États-Unis, il y a un vide juridique dont profitent un certain nombre de villes pour installer ces logiciels. Lors des manifestations du mouvement Black Lives Matter en 2020, beaucoup de militant·es ont donc décidé de se rendre méconnaissables pour les logiciels de reconnaissance. Il existe un véritable arsenal de techniques qui passent par... l’une de mes passions dans la vie... le maquillage. Et voici ce qu’on appelle le maquillage anti-surveillance. (...)

Le phénomène a pris suffisamment d’ampleur pour que les organisateurs des manifs rappellent que le maquillage pouvait accentuer l’effet des lacrymos sur les yeux.

Dans ce régime de surveillance, pour disparaître, il faut donc s’afficher de façon plus extravagante.

Rendre visible l’invisible (...)

Harvey explique qu’il faut penser en fonction de chaque logiciel. Tel maquillage va brouiller tel algo, ou simplement le ralentir vu les progrès que cette technologie ne cesse d’accomplir. (...)

Le mouvement s’étend à mesure que la surveillance se déploie. (...)

L’un des pièges de la surveillance étant son invisibilité, le maquillage comme technique de brouille est un moyen de la rendre visible. (...)

J’ai adoré la manière dont l’activisme prend une forme artistique nécessaire et joyeuse.

Il existe donc des tutos de techniques de maquillage et, ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agit précisément de l’esthétique qui est en train de l’emporter. De plus en plus d’artistes posent avec des maquillages non orthodoxes : des ronds à la place des lignes, des triangles sur les joues –évidemment, on pense à David Bowie comme ancêtre de tout cela.

J’aime qu’un savoir-faire considéré comme féminin et donc complètement dévalorisé (alors qu’il existe de véritables artistes du maquillage) devienne une arme politique. Et en prime, il est plus facilement accessible aux hommes.