
Un an après le meurtre du militant écologiste Rémi Fraisse sur le site du barrage de Sivens, l’envie reste de dépasser la peur et de maintenir le droit à manifester, en déplaçant les conflits là où se fabriquent les armes de la répression. Le maintien de l’ordre a ses fournisseurs, un business opaque, avec ses profits, ses dividendes aux actionnaires. Reportage près d’une usine d’armement de police, dans le Finistère.
Quatre pauvres lampadaires face à une prairie en pente, une guérite aux allures d’Algéco, de vagues grillages. C’est l’entrée de l’usine Nobel Sport à Pont-de-Buis, dans le fin fond du Finistère, qui se vante d’aligner « la chaîne de fabrication de grenades lacrymogènes la plus automatisée d’Europe », et d’avoir dépassé en 2008 « le cap remarquable du million de grenades lacrymogènes produites et vendues dans le monde » [1]. On y produit aussi des munitions pour lanceur de balle de défense (LBD), l’arme qui remplace le Flash-Ball et dégomme les yeux des manifestants. « En période de forte demande, de révolution à réprimer quelque part dans le monde, l’usine passe en 3x8 », lâche un voisin. C’est un des discrets ateliers de la répression made in France, dont la production s’exporte en Europe, au Bahreïn, en Égypte, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, en Tunisie... Un fournisseur officiel de la violence d’État, pour parler pompeusement. (...)
Un troisième rassemblement avec débats s’annonce pour le week-end du 25 octobre, un an après le drame de Sivens, au plus près de l’usine de fabrication de poudres. (...)
À Pont-de-Buis, les patrons martèlent bien sûr que ce qu’ils fabriquent n’est pas dangereux. Comme les préfets et ministres de l’Intérieur, glosant sur les armes prétendues « non létales », ou « à létalité réduite ». À les entendre, on pourrait tuer « partiellement » : la « létalité » serait toute relative, il suffirait d’appliquer un coefficient d’intensité : un peu mort, beaucoup décédé, passionnément occis…
À la source des armes
Sortir des centres-villes, déplacer la protestation sur les lieux de production de ce matériel de guerre sociale est une idée née entre Notre-Dame-des-Landes, Brest, Montreuil et Nantes. C’est à dire entre la ZAD, le comité du Finistère contre le projet d’aéroport nantais, l’assemblée des blessés par la police regroupant des mutilés par Flash-Ball et LBD des quartiers populaires, des milieux militants et des supporters de foot eux aussi tirés comme des lapins. (...)
La mort de Rémi Fraisse et ses lendemains ont laissé autant de rage que d’amertume nappée de nuages lacrymogènes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le meurtre d’un manifestant, l’impunité des responsables (hiérarchie gendarmesque autant que gouvernement commanditaire), la mise en cause directe du droit de manifester n’ont pas levé l’indignation large qu’on aurait pu normalement attendre. « La police s’est contentée de boucler intégralement les centres-villes et d’alimenter le sentiment de crainte par assauts médiatiques successifs », constate l’appel à la manif à Pont-de-Buis.
En mai dernier, la commission parlementaire instaurée par Noël Mamère suite au drame de Sivens auditionne des dizaines de responsables du maintien de l’ordre et entérine leur nouvel armement : le Flash-Ball est remplacé par le LBD, plus précis, plus puissant, plus mutilant. Le 18 mai, les deux flics auteurs de la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en 2005 sont relaxés après dix ans de procédure. On pourrait multiplier les épisodes du triomphe de la force brute de l’État. (...)