
L’Allemagne accueille les 7 et 8 juillet le G20 à Hambourg, avec son lot d’autocrates et de régimes autoritaires. L’Union européenne elle-même n’est pas à l’abri de dérives absolutistes plus ou moins musclées, comme le démontrent la situation en Hongrie, où une droite extrême xénophobe gouverne depuis sept ans. Et en Pologne où l’ultra-droite est au pouvoir depuis deux ans. La Turquie, candidate à l’adhésion, bascule progressivement vers un régime dictatorial. Toujours prompte à punir des pays qui ne respecteraient pas certains dogmes économiques, l’Union européenne dispose-t-elle de moyens juridiques et de la volonté politique pour sanctionner des gouvernements qui violeraient allègrement ses valeurs fondamentales, basées sur le respect de la dignité humaine, la liberté, l’égalité, et l’État de droit ? Réponse.
L’Union européenne est prompte à rappeler ses règles strictes en matière d’économie et de dépenses publiques, quitte à imposer de brutales réformes aux pays, comme la Grèce, qui ne s’y conformeraient pas. Quand il s’agit de transiger avec ses valeurs fondamentales, basées sur le respect des droits humains et de l’État de droit, qu’en est-il ? Un gouvernement européen supprimant des contre-pouvoirs et des institutions garantissant le bon fonctionnement de la démocratie est-il sanctionné aussi sèchement que s’il dépassait le déficit public autorisé ? Mettre en œuvre des politiques discriminatoires et xénophobes, bafouant la dignité humaine, ou jeter en prison nombre d’opposants risque-t-il de conduire un État européen, ou candidat à l’adhésion, à une quasi faillite pour cause de sanctions économiques ? On en est très loin.
La Turquie, membre du Conseil de l’Europe, envisage de réintroduire la peine de mort dans son code pénal, alors qu’elle n’y est plus appliquée depuis 1984 et qu’elle a été formellement abolie en 2004 ? Le président turc Recep Tayyip Erdogan évoque la possibilité d’un référendum sur le sujet. Depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, le chef de l’État turc glisse toujours davantage vers l’autoritarisme : plus de 40 000 personnes ont été placées en détention provisoire en l’espace de six mois d’état d’urgence, des milliers de fonctionnaires ont été limogés, des centaines de médias et d’ONG fermées, des journalistes, écrivains, militants et parlementaires arrêtés, ou encore des maires élus remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement.
La victoire du “oui” au référendum constitutionnel en avril ouvre encore plus grand la voie à une véritable autocratie. Même si la victoire du camp présidentielle a été courte (51,4 %), et que la validité du scrutin est largement contestée. Reste que la réforme constitutionnelle transforme l’État truc en un régime présidentiel et donnera à Erdogan encore plus de pouvoir.
Le Conseil de l’Europe alerte, Erdogan n’en a cure (...)
Soutien aux oppositions et à la société civile
De fait, le Conseil de l’Europe n’a aucun réel pouvoir de sanction face à la Turquie. L’institution, organisation intergouvernementale formellement indépendante de l’Union européenne, existe depuis 1949. Elle veille au respect des droits humains et au développement de la démocratie sur le continent. A partir de 1989, elle a été élargie aux pays d’Europe de l’Est, y compris la Russie. La Turquie y adhère depuis 1950. Son assemblée parlementaire réunit des élus issus de 47 pays membres. Son rôle n’est que consultatif, mais le Conseil abrite aussi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). « Il manque un pouvoir d’action au Conseil de l’Europe, constate Elena Crespi, responsable à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). L’assemblée parlementaire a seulement la possibilité de suspendre un État membre. Mais dans les faits, il y a souvent des blocages politiques. »
« Le Conseil de l’Europe est en contact constant avec le gouvernement turc. Ce dialogue est ininterrompu. Nous ne sommes pas une organisation qui cherche à punir, mais qui cherche à faire avancer les choses dans le dialogue, souligne un porte-parole du Conseil de l’Europe. Quand il y a une dérive autoritaire - et il n’y a pas qu’en Turquie que cela se produit, mais aussi en Pologne et en Hongrie - le même processus de dialogue prévaut, en attirant l’attention des autorités sur les points qui posent problème. » Même sans pouvoir de sanction, ce dialogue et l’existence de ces institutions jouent un rôle politique, notamment en appui des partis d’opposition et des sociétés civiles. (...)
Turquie : l’UE prisonnière de l’accord sur les migrants (...)
Le Parlement européen a voté jeudi 6 juillet pour une suspension formelle des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Mais qu’en est-il de possibles sanctions économiques ? L’Union européenne a déjà adopté de telles sanctions contre le régime autoritaire voisin de Biélorussie, pendant plus de dix ans [2]. Et en 2014, à l’encontre de la Russie suite au conflit ukrainien et au rattachement contesté de la Crimée [3]. Dans ces deux cas, l’UE a par exemple décidé de geler les avoirs financiers d’entreprises et de personnalités, de leur interdire l’entrée sur son territoire, de mettre en place des embargos, notamment sur les armes, ou de restreindre les relations économiques.
Rien de tel n’a été décidé pour la Turquie, également membre de l’Otan, même depuis la sévère répression qui a suivi le putsch manqué de juillet. Pourquoi ? « L’UE et la Turquie ont conclu en mars un accord visant à empêcher les migrants en situation irrégulière d’arriver dans l’UE depuis la Turquie. Cet accord a aussi eu pour effet de mettre en sourdine les critiques de l’UE portant sur les atteintes aux droits humains perpétrés en Turquie », souligne Amnesty International dans son dernier rapport annuel.
Contre la Hongrie, des procédures d’infraction à répétition
L’UE agit-elle plus fermement quand les atteintes à l’État de droit, à la démocratie et aux droits humains ont lieu dans ses pays membres ? Face à la Hongrie, où Victor Orban installe un pouvoir de plus en plus autoritaire et xénophobe depuis 2010 (voir notre article), Bruxelles a effectivement réagi... Mais de manière bien timide. (...)
Face l’État hongrois qui a vidé de ses pouvoir la cour constitutionnelle, mis en retraite anticipée 10 % de sa magistrature, pris le contrôle d’une partie des médias, clôturé ses frontières, et décidé de considérer comme des criminels les demandeurs d’asile arrivant sur son sol, ce type de réaction est-elle suffisante pour protéger la démocratie et les droits humains ? « Les quelques procédures d’infraction, qui n’ont pas toutes abouti, ont conduit l’État hongrois à opérer quelques ajustements cosmétiques, regrette Elena Crespi. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de volonté politique de sanctionner ces dérives. Les instruments juridiques sont là. Mais il faut une réaction forte, qui prenne en compte l’ensemble des violations. »
La suspension d’un État membre jamais employée
Un outil juridique prenant en compte une menace globale de l’État de droit dans un pays membre existe bel et bien. (...)
our arriver à une suspension de certains droits de l’État membre, il faut au préalable une décision à l’unanimité des membres du conseil, moins l’État concerné. Il suffit donc que deux des 28 États membres glissent vers l’extrême droite, et s’entendent, pour que la mise en œuvre de cette procédure soit bloquée.
La Pologne, sous surveillance depuis plus d’un an (...)
« La procédure de suivi n’a eu aucun résultat jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement polonais a dit qu’il n’avait pas l’intention de se conformer aux recommandations qui lui avait été faites », rapporte la responsable d’ONG.
Entre valeurs fondamentales et économie : deux-poids deux-mesures
« Nous avons une situation où des États violent de façon manifeste les obligations de l’UE en matière de droits humains, de démocratie et d’État de droit. Face à ces violations, il n’y a pas de volonté politique de réagir. Cela devrait pourtant être plus évident lorsqu’il s’agit de pays entrés récemment dans l’UE, comme la Hongrie et la Pologne. Nous savons que les institutions européennes sont encore moins enclines à réagir aux violations des droits humains quand elle se passent dans des pays comme la France », ajoute-t-elle.
De fait, les violations aux droits humains et aux principes démocratiques de base ne sont pas l’apanage, en Europe, de quelques États de l’Est gouvernés par l’extrême-droite. Les citoyens qui vivent dans une France sous état d’urgence depuis un an et demi en savent quelque chose. (...)
« Il faudrait un mécanisme qui protège réellement les droits humains dans l’Union européenne. Y compris lorsque, en France, le gouvernement maintient éternellement l’état d’urgence, ou quand il viole les droits des migrants à la frontière franco-italienne, réclame la députée Marie-Christine Vergiat. Ce que je reproche à l’UE, c’est le deux-poids deux-mesures entre les questions économiques et celle des valeurs. Quand il y a une infraction à la législation économique, la Commission instruit les dossiers. Alors que sur les questions des valeurs démocratiques et des droits humains, elle ne veut surtout pas froisser les gouvernements. Il y a beaucoup d’hypocrisie et cela nourrit la crise institutionnelle. »
Elena Crespi, de la FIDH, va dans le même sens : « L’UE est stricte sur les critères démocratiques avec les candidats à l’entrée dans l’UE. Mais il y a une lacune pour les membres, une incapacité à assurer la tenue de ces même standard pour ses propres États. Cela crée un problème de crédibilité politique de l’Union européenne. » D’autant plus quand cette même UE sous-traite la prise en charge des migrants à des pays en pleine dérive anti-démocratique, tels que la Turquie.