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Politzer, un communiste contre le nazisme
Paul Alliès Professeur Emérite à l’Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).
Article mis en ligne le 25 mai 2019

Ian Brossat (qui conduit la liste du Parti communiste pour les élections européennes) a du faire face ce 21 mai sur RMC à la vulgarité absolue d’un improbable éditorialiste lui assénant que "le PCF, c’est la collaboration avec les nazis", entre autres grossièretés rigolardes.

Ce genre de séquence devrait tourner à la confusion de l’imbécile heureux de son ignorance, qui tient ce genre de propos. Ce n’est plus tellement sûr. D’où ma décision, inhabituelle, de publier ici un texte qui n’aurait pas du s’y trouver. Il s’agit du discours de réception de la remise du diplôme de Docteur Honoris Causa que je recevrai dans les prochains jours de et à l’Université d’Oradea, en Roumanie à l’ouverture d’un colloque sur "La tolérance dans l’Union Européenne. Le combat contre la nouvelle xénophobie". Il porte sur la biographie de Georges Politzer qui est né à Oradéa avant de devenir un intellectuel très connu du Parti Communiste Français dans les années Trente. Il fut l’organisateur du premier réseau de résistance universitaire, arrêté par la police française et fusillé au Mont Valérien le 23 mai 1942. C’est ma contribution à la lutte contre tous les oublis, révisionnismes et négationnismes passés et présents. (...)

Engagement partisan et lutte contre la xénophobie : Georges Politzer, Oradea-Paris (1919-1942).

Georges Politzer incarne une des figures les plus remarquables de l’antifascisme intellectuel de l’entre-deux guerres, donc de la lutte contre la xénophobie et l’antisémitisme. Son itinéraire est prototypique du milieu de l’intelligentsia d’Europe centrale de cette période, confronté à la chute de l’Empire Austro-Hongrois. Mais ce parcours est aussi emblématique d’un engagement total (à la fois théorique et partisan) d’intellectuels dans le champ du marxisme européen après la révolution Russe. Qu’il se soit effectué pour l’essentiel en France ne saurait faire oublier ces origines géopolitiques. Politzer est devenu un homme d’abord en Autriche-Hongrie. Il devint ensuite à Paris un philosophe et un militant de premier ordre. (...)

Dés 16 ans, il est élu président du Conseil du Lycée. A ce titre il mène une vigoureuse bataille contre l’arbitraire et la brutalité de deux surveillants. Laquelle aboutit à une révision du règlement de l’établissement. C’est toujours au titre de délégué de celui-ci qu’il participe le 2 février 1919 au lycée central de Budapest à la rencontre des étudiants révolutionnaires. (...)

Georges Politzer est exclu du lycée et devient à 16 ans commissaire politique à l’Hôtel de ville de Seghedin. Il a adhéré (pour des raisons « sentimentales » écrira-t-il) au Parti communiste sans accorder d’importance à cet acte. Il y apprend (un peu) le maniement des armes. Il s’enfuit devant l’offensive des troupes franco-roumaines, qui commence par Seghedin avant la prise de contrôle de Budapest. Georges se réfugie alors chez son père en poste à Lörinci, encore une petite ville à une quarantaine kilomètres au nord de Budapest. Il y prend la mesure de la répression qui allait s’abattre : 5000 morts, 75000 incarcérations, 100.000 exilés contraints ou forcés. Elle ne frappe pas que les communistes : mais aussi des bourgeois libéraux, des socialistes, des artistes, des scientifiques. Et beaucoup, beaucoup de juifs, pris dans de multiples pogroms dans toute la Hongrie. Politzer aura donc pu prendre conscience de la violence absolue d’un conflit localisé mais annonciateur de la seconde guerre mondiale. Après avoir passé son baccalauréat à Budapest en mai 1921 (grâce à l’aide d’un prêtre catholique de Lörinci), il part pour Paris après une halte de presque trois mois à Vienne où il découvre Freud et la psychanalyse. Il a 18 ans.

 Pourquoi la France (et pas l’URSS comme devait le faire son aîné Georg Lukacs, Commissaire à l’Instruction de Bela Kun, s’exilant à Moscou après Vienne) ? C’est déjà le signe d’une réelle indifférence au pays des soviets. C’est peut-être encore aussi à cause de Seghedin. Certes l’attractivité de Paris dans le monde des arts et lettres est à l’époque à son zénith. Mais la ville de Seghedin doit à une catastrophe naturelle (une inondation l’ayant engloutie le 12 mars 1879) un élan de solidarité exceptionnel dans lequel Paris a joué un rôle majeur. (...)

2 – Construction d’un engagement partisan.

L’adhésion de Georges Politzer au Parti Communiste Français restera là encore une démarche singulière et tardive pour trois raisons : elle ne se fera qu’après un intense travail académique dans le champ de la philosophie ; elle sera motivée par la volonté d’une traduction politique de celui-ci ; elle procédera des circonstances de la montée du nazisme. (...)

- C’est en août 1929 qu’il fait une première demande d’adhésion au PCF ; elle reste sans suite. Elle ne sera effective qu’en octobre 1930. Mais elle n’est que la poursuite de son premier combat (celui des revues) par d’autres moyens. Sauf que ses grandes qualités professionnelles, sa reconnaissance par les milieux intellectuels vont en faire un élément de premier ordre pour la direction du PCF à laquelle accède Maurice Thorez en juillet 1930. C’est le début d’un cycle qui va voir cette formation se transformer en parti de masse où les intellectuels jusque là tenus en lisière par l’appareil, vont gagner des rôles valorisant. Fût-ce au prix de quelques reconversions comme celle que Politzer va faire (et réussir) de la philosophie à l’économie, au prix du renoncement définitif à son projet philosophique. Il se plonge pour cela dans certains écrits de Marx, Engels, Lénine. Il anime à partir de 1931 le Bureau de Documentation du Comité central, ainsi que des organes de formation de la CGTU, syndicat proche du PCF. Ce qui l’amène à lire la presse étrangère et suivre l’actualité économique et sociale de la crise de 1929. Il écrit un très grand nombre d’articles dans la presse communiste. Il participe à la rédaction de revues importantes comme La Pensée ou Commune. Et il devient un des principaux animateurs de l’Université ouvrière créée en 1932 avec des personnalités comme Romain Rolland, Henri Barbusse, Paul Langevin. Des milliers d’adhérents au PCF mais aussi des syndicalistes seront formés dans ce cadre. Il fera aussi des cours dans les écoles centrales du parti. Dans le droit fil de ce travail réussi de vulgarisation et de pédagogie, un ouvrage posthume connaîtra un considérable succès après 1948 : « Les principes élémentaires de philosophie », manuel de base de générations de gauche de l’après-guerre. (...)

La parution d’un journal L’Université libre, premier périodique clandestin à parution régulière, sera son expression. Son réseau, pris très au sérieux par la police française, est démantelé le 15 février 1942. Georges Politzer est fusillé au Mont Valérien le 23 mai 1942. Il a 39 ans presque jour pour jour. Le Général de Gaulle, dans un discours à Alger le 31 octobre 1943 intitulé « Clairvoyance de la pensée française », cite le nom de Politzer « fusillé par l’ennemi (…) parmi les plus grands noms qui sauvèrent la dignité de l’esprit ».

3 – Composition d’un antiracisme organique

Pour Politzer le racisme est un produit de la division en classes de la société, des luttes qui s’y mènent et qui appellent des diversions politiques : la définition d’un bouc émissaire est consubstantielle de cette histoire. Le nazisme y apporte une contribution essentielle. La riposte doit se hisser à la hauteur de ce racisme d’Etat après la victoire de Hitler : plus que jamais la défense du parti organisé (les partis communistes) et donc de l’URSS est à la base de la lutte antiraciste. Durant ses deux années passées en clandestinité il publie plusieurs articles, d’où émergent deux textes sur le sujet. (.)