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Planter des arbres pour sauver la planète ? Pas toujours une bonne idée
Article mis en ligne le 16 août 2019

Encouragés par les études scientifiques valorisant le rôle des arbres pour capter le CO2, pays et entreprises se lancent dans de grands plans de reboisement. Les chercheurs et militants interrogés par le JDD pointent le risque de greenwashing.

350 millions d’arbres plantés... en une journée. C’est le nouveau record mondial établi par l’Ethiopie le 29 juillet, aux dires des autorités. Confronté à une déforestation massive et à des sols dégradés, le deuxième plus grand pays d’Afrique a décidé de contre-attaquer. Objectif : 4 milliards d’arbres supplémentaires d’ici octobre. Car les arbres font figures de super-héros face au réchauffement climatique. Ils retiennent l’humidité et permettent donc de limiter les effets de la sécheresse et de l’érosion des sols. Surtout, ce sont des puits de carbone. Ils stockent du CO2, particulièrement lors de leur phase de maturité. (...)

D’autres pays se sont aussi lancés dans ces plans de reboisement massif : l’Australie veut faire pousser un milliard d’arbres d’ici 2050 et l’Inde s’est engagée à reverdir 95 millions d’hectares de forêts avant 2030. Sans oublier les nombreux programmes de compensation carbone : des entreprises qui choisissent de planter des arbres ou de protéger des forêts pour réduire l’impact de leurs émissions.

Une solution miracle pour rafraîchir la planète ? C’est ce que l’on pourrait croire en lisant rapidement une étude de chercheurs suisses parue dans la revue Science le 5 juillet. Pour eux, "la restauration des arbres fait partie des stratégies les plus efficaces pour atténuer les effets du changement climatique". (...)

Sauf que ce n’est pas si simple. Ces programmes peuvent être une fausse bonne idée, voire une mauvaise nouvelle pour la planète. Voici pourquoi.
Une solution efficace... dans des dizaines d’années

Le premier problème est une question de timing. "Pendant leurs vingt premières années environ, les arbres sont trop jeunes pour fixer du carbone", rapporte Hervé Le Bouler, référent de France Nature Environnement pour les questions forestières. Or, les émissions de CO2 doivent être réduites maintenant, si l’on veut limiter la hausse des températures en-dessous de 2°C, comme prévoit l’Accord de Paris. (...)

Les forêts n’arrivent plus à jouer leur rôle

Placer autant d’espoirs sur les arbres, c’est peut-être aussi trop leur demander. Car les activités humaines fragilisent les forêts, qui n’arrivent plus aussi bien à jouer leur rôle de puits de carbone. La forêt amazonienne, par exemple, souvent présentée comme le poumon vert de la planète, absorbe moitié moins de CO2 par an que dans les années 1990 (...)

En cause, le réchauffement climatique, la pollution de l’air ou encore les pesticides qui, combinés, entraînent une surmortalité des espèces végétales.

Par ailleurs, les forêts nées de la main de l’homme épongent beaucoup moins bien le CO2 que leurs aïeules. Un arbre planté aujourd’hui n’équivaut pas à une variété centenaire dans une forêt primaire, une tourbière ou une mangrove. (...)

Tous les arbres ne se valent pas

Il en découle un troisième problème : tous les arbres ne se valent pas. Planter, oui, mais pas n’importe où, n’importe quelle espèce et n’importe comment. Et surtout pas en monoculture. Hervé Le Bouler, de France Nature Environnement, se dit ainsi "perplexe" face aux gigantesques programmes de plantations : "Quand la France s’est lancée dans le reboisement, dans les années 60 et 70, on faisait pousser environ 70, peut-être 100 millions de nouveaux arbres par an, rappelle-t-il. Et l’Ethiopie en plante 350 millions en un jour ? Est-ce que les compétences forestières sont là ? Est-ce que ces arbres seront toujours là dans dix ans ?" Selon l’agence de presse éthiopienne, sur les 4 milliards d’arbres plantés dans le pays entre 2000 et 2015, seuls 20 à 30% auraient survécu, faute d’une bonne gestion. (...)

Plantés au mauvais endroit, les arbres peuvent devenir un instrument contre-productif, voire dangereux. Certaines essences sont moins résistantes aux sécheresses et aux parasites. Le Portugal en a fait la douloureuse expérience : les eucalyptus semés en masse dans les années 1950 pour contrer l’érosion couvrent le quart du pays. Or, cette variété, très inflammable, a favorisé les incendies que connaît régulièrement le Portugal.
Le risque d’opposer climat et biodiversité

Pour Yann Laurans, directeur du programme biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), il existe aussi un risque de pénaliser la biodiversité en voulant préserver le climat. "L’idée de planter des arbres peut apporter le pire comme le meilleur", commence-t-il. En fait, tout dépend de la zone choisie. "Cela peut être très bénéfique si l’on réimplante des espèces locales et variées dans une zone qui avait été abîmée, voire déforestée", explique-t-il. En Amazonie par exemple. (...)

Mais s’il s’agit d’une "plantation industrielle, avec les mêmes arbres en rang d’oignons, dans un espace qui n’avait jamais été boisé, c’est une catastrophe pour la biodiversité". (...)

C’est ce qu’a fait la Chine avec sa "Grande Muraille Verte", destinée à freiner l’avancée du désert de Gobi.

"On ne peut pas reboiser à très grande échelle sans faire de dégât sur les écosystèmes", assène Yann Laurans. Pour lui, la seule solution pour protéger à la fois la biodiversité et le climat, c’est d’arrêter la consommation d’énergies fossiles, pour émettre moins de CO2.
La priorité : stopper la déforestation

Pour Clément Sénéchal, référent politiques climatiques et forêts pour Greenpeace France, "planter dans une logique de réparation, c’est utile. Mais, trop souvent, il s’agit de compensation". Une logique comptable et trompeuse, selon le militant : "C’est la solution du business as usual ; au lieu de baisser nos émissions, on tente de se racheter, un peu comme le trafic d’indulgences dans l’église catholique au Moyen-Age". (...)

"Il ne faut pas que ce soit l’arbre qui cache la déforestation", s’inquiète-t-il. Conclusion ? Reboiser en masse, oui, de manière réfléchie et dans des zones dévastées par les tronçonneuses, plaident les chercheurs et militants interrogés. Mais, en priorité, il faut "préserver les 15 millions d’hectares qui disparaissent chaque année", répète Clément Sénéchal, et réduire les émissions de CO2 en amont.