Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
les mots sont importants
Plaidoyer pour les « bons sentiments » Réflexions sur un méchant lieu commun
#morale #ethique #politique #extremedroite #democratie
Article mis en ligne le 5 juin 2023

Cela fait maintenant près de quatre décennies qu’on nous répète, à gauche comme à droite, qu’il ne faut pas culpabiliser l’électeur d’extrême droite, que ce n’est pas à son âme qu’il faut s’adresser, ni même à son coeur, mais à ses tripes et à son porte-monnaie. Cela fait quatre décennies que toute considération éthique est violemment congédiée du débat politique comme déplacée voire contre-productive, en particulier lorsqu’il est question de l’extrême droite et de sa xénophobie : tout refus des problématiques lepénistes, tout combat contre le racisme, toute marque de solidarité avec les immigrés et les groupes racisés, est disqualifiée – et de fait abandonnée – comme faisant le jeu du Rassemblement National. Quatre décennies en somme que la gauche et la droite de gouvernement prétendent lutter contre l’extrême droite en s’alignant sur ses priorités, ses diagnostics, voire ses solutions – à commencer par une approche phobique de l’immigration et une approche culturaliste, ethniciste et raciste des questions de sécurité. Cette realpolitik a fait ses preuves : l’extrême droite, légitimée comme jamais, est aux portes du pouvoir. Cela n’empêche pas le président Macron, dans une ultime bouffée de cynisme, d’incriminer encore et toujours « la morale », et de radicaliser à l’extrême – avec le concours d’un certain Darmanin – une realpolitik immoraliste qui a fait toutes les preuves de sa dangerosité. L’occasion de republier les réflexions qui suivent, parues initialement en novembre 2021, et consacrées à cette manière aussi bête que méchante – et surtout irresponsable, éminemment destructrice – de séparer la politique de la morale.

Cela fait maintenant près de quatre décennies qu’on nous répète, à gauche comme à droite, qu’il ne faut pas culpabiliser l’électeur d’extrême droite, que ce n’est pas à son âme qu’il faut s’adresser, ni même à son coeur, mais à ses tripes et à son porte-monnaie. Cela fait quatre décennies que toute considération éthique est violemment congédiée du débat politique comme déplacée voire contre-productive, en particulier lorsqu’il est question de l’extrême droite et de sa xénophobie : tout refus des problématiques lepénistes, tout combat contre le racisme, toute marque de solidarité avec les immigrés et les groupes racisés, est disqualifiée – et de fait abandonnée – comme faisant le jeu du Rassemblement National.

Quatre décennies en somme que la gauche et la droite de gouvernement prétendent lutter contre l’extrême droite en s’alignant sur ses priorités, ses diagnostics, voire ses solutions – à commencer par une approche phobique de l’immigration et une approche culturaliste, ethniciste et raciste des questions de sécurité. Cette realpolitik a fait ses preuves : l’extrême droite, légitimée comme jamais, est aux portes du pouvoir. Cela n’empêche pas le président Macron, dans une ultime bouffée de cynisme, d’incriminer encore et toujours « la morale », et de radicaliser à l’extrême – avec le concours d’un certain Darmanin – une realpolitik immoraliste qui a fait toutes les preuves de sa dangerosité.

L’occasion de republier les réflexions qui suivent, parues initialement en novembre 2021, et consacrées à cette manière aussi bête que méchante – et surtout irresponsable, éminemment destructrice – de séparer la politique de la morale. (...)

« On ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments ». Au royaume des poncifs, celui-ci trône depuis quelques décennies. Attribué au journaliste et scénariste Henri Jeanson, confondu parfois avec une autre maxime, signée André Gide (« C’est avec les beaux sentiments qu’on fait la mauvaise littérature »), et appliqué souvent de manière élargie au cinéma, au rock’n’roll [1] et à l’ensemble des arts, la formule est répétée mécaniquement, avec une belle unanimité, des avant-gardes révolutionnaires aux arrière-gardes les plus réactionnaires. Il s’agit, à chaque fois, de disqualifier toute velléité de révolte, c’est-à-dire toute expression, artistique notamment, d’un sentiment d’injustice – mais aussi, du côté des spectateurs, toute préoccupation éthique face aux sacro-saints Chefs d’Oeuvre du sacro-saint domaine de l’Art.

Mais il est un autre domaine réservé : l’espace sacré de la Politique (pardon : du Politique), qui fait lui aussi l’objet, en France tout particulièrement [2], de longue date mais de plus en plus ces derniers temps, d’un traitement « immoraliste » du même tonneau – et c’est même la radicalisation et la répétition, jusqu’à la nausée, de cet axiome (en gros : « La morale c’est pour les fiottes, la politique c’est l’acquiescement au réel, le réel c’est la loi du plus fort »), qui constitue l’alpha et l’oméga de la stratégie argumentative zemmourienne. (...)

C’est cet « immoralisme respectable », installé, bien arrimé en vérité à l’ordre social dominant, et régnant sur les arts comme sur la politique, à gauche comme à droite, que je voudrais observer et déconstruire, en montrant comment il glisse la plupart du temps, dans le débat contemporain en tout cas, d’une maxime entendable et sans doute pertinente dans sa version « faible » vers une série d’extrapolations débiles, débilitantes et malfaisantes, moralement et politiquement. (...)

C’est aussi cette opposition entre le « politique » et « l’émotionnel » – ou « l’indignation » – qui est au principe de la « subversion » macroniste, et de son sidérant relativisme moral [3].

Ce « sens commun immoraliste » dont je parle n’est pas vraiment nouveau, mais il se porte particulièrement bien aujourd’hui, à droite et à l’extrême droite mais aussi, hélas, au sein de la gauche et de l’extrême gauche. Il nous dit en substance ceci : que se battre pour autre chose que sa gueule ou celle de son « clan », se battre pour d’autres que soi, au nom d’impératifs éthiques comme la solidarité et l’égalité, est au pire une tartufferie, une posture aristocratique et « donneuse de leçons » ou un luxe de nanti (qu’on le nomme « bobo », « bourgeois » ou « blanc », suivant la place occupée sur le spectre politique, ou le segment de marché convoité), au mieux un aimable enfantillage, une lubie de « curé », de « pleureuse » ou de « dame patronnesse ». Un passe-temps pas très viril en tout cas, donc pas très sérieux, en somme une attitude déplacée tant dans le champ de l’Art que dans celui du Politique – l’un et l’autre étant définis par un rapport à la morale qui n’est ni complexe ni dialectique : celui de la stricte extériorité. (...)