
« Que faire ? » : la question surgit quand une analyse lucide révèle la complication d’une situation et qu’on veut agir comme il convient. Dans son dernier livre, Plaidoyer pour la fraternité1, paru en février dernier, le philosophe Abdennour Bidar pose cette question au lendemain des attentats meurtriers et de la mobilisation de janvier 2015. Si les républicains sont accoutumés à associer la liberté et l’égalité pour porter leur projet, la fraternité est souvent contournée, suspectée d’idéalisme et de sensiblerie impropres à un monde de violences. À ce prétendu réalisme, Abdennour Bidar substitue, dans un contexte d’urgence, l’idéal concret de la fraternité
près cette levée d’un jour, que faire ? Telle est la question que pose Bidar, observant que l’opposition stérile des « Je suis Charlie » et des « Je ne suis pas Charlie » interdit d’imaginer que la France de 2015 serait durablement rassemblée autour de ses principes fondateurs. Deux sacrés semblent à nouveau s’affronter : la liberté d’expression et le religieux. Du coup, la laïcité a la tâche d’inventer de nouvelles solutions. Car si sa première exigence est la liberté de conscience et d’expression, sa vocation historique est de rassembler le peuple.
Aujourd’hui, la laïcité est dénigrée par ceux qui y voient un moyen de combattre l’islam et elle est trahie par ceux qui l’utilisent comme arme de repli identitaire. Elle offre pourtant à tous, croyants et non-croyants, les mêmes droits. Abdennour Bidar qui est aujourd’hui l’un des meilleurs serviteurs de la laïcité, comme rédacteur et propugnateur de la Charte de la laïcité à l’École, explique que la France laïque lui a permis de cultiver librement son rapport à l’islam. Il rappelle aussi que l’assassinat du policier prénommé Ahmed, lâchement abattu par l’un des tueurs en fuite après le massacre de Charlie Hebdo, a confirmé par l’absurde la compatibilité de l’islam avec la République laïque. Mais cela ne le conduit pas à nier la réalité de l’islamisme terroriste, cancer de l’islam, en France et dans le monde. La bonne conscience du musulman qui croit se défendre du mal qui mine de l’intérieur sa religion en assurant que l’islamisme ne le concerne pas, est interpellée. Quant à l’idéologie aveugle d’une gauche qui a renoncé à ses principes, ne voyant dans l’islamisme qu’un problème socio-économique et la sanction implacable du colonialisme du siècle dernier, elle oublie que toutes les religions, islam compris, peuvent provoquer des ravages destructeurs. Ce déni de la nocivité de l’islamisme trouve en miroir la suspicion inculte d’un islam irrémédiablement incompatible avec la démocratie et les droits de l’homme. Bidar montre qu’on ne sort pas de cette opposition mortifère en réclamant une intégration de l’islam dans une France supposée harmonieuse, sommée d’assimiler un corps étranger. La problématique est plutôt la réactivation de la puissance intégratrice de la laïcité dans une France atteinte par les fragmentations et les inégalités produites par l’ultra-libéralisme, très au-delà de la situation des jeunes issus de l’immigration. « Aujourd’hui, écrit Bidar, nous avons tous besoin d’intégration. » Et, selon lui, le cœur de la réponse à cet urgent besoin réside dans la fraternité. Sans la fraternité, la France de la liberté et de l’égalité ne serait pas un territoire où tous sont ensemble quels que soient leur couleur de peau, leurs croyances religieuses, leur athéisme, leur terroir régional ou le pays de leurs ancêtres. On voit pourquoi l’une des tâches de la France laïque contemporaine est d’aider les musulmans à se débarrasser, par l’étude libre, de ce que l’islam a d’archaïque, répressif et dogmatique. (...)
Associée à la liberté et à l’égalité pour former la devise républicaine, soutenue par la rationalité critique qui lui apporte son exigence philosophique, la fraternité est aujourd’hui l’indispensable de la laïcité. Le livre se conclut par dix propositions pour une France fraternelle : sur les ghettos, l’islam, l’école, un service civique obligatoire… La huitième proposition invite à « retrouver l’esprit des mouvements d’éducation populaire », outils intellectuels et lieux de solidarité autour d’idéaux partagés ; concrétisation vivante d’une fraternité sociale et républicaine.