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Plages bétonnées, terres bouleversées : à Port-la-Nouvelle, le projet de port géant suscite l’indignation
Article mis en ligne le 9 février 2020

À Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, le taux de chômage bat des records. L’agrandissement du port industriel et l’installation d’une activité de constructions d’éoliennes pourraient offrir un avenir radieux à la ville, promet la Région Occitanie. Mais des opposants dénoncent un projet démesuré et ravageur pour l’environnement.

« Cette jetée, celle du phare rouge, serait prolongée de 600 mètres. En face, la jetée du phare vert serait détruite et remplacée par une digue de plus de deux kilomètres. »

L’urbaniste retraité, se souvient encore de la première fois qu’il a entendu parler de ce projet d’extension du port. C’était au début des années 80… « Ils l’ont ressorti dans les années 2000, puis on s’est battu contre un projet d’y implanter une raffinerie d’huile de palme, au début des années 2010 », raconte-t-il. La raffinerie a été abandonnée, mais pas le projet d’agrandissement. Les travaux ont débuté en début d’année. (...)

En tout, trois kilomètres de digues seraient construites, s’avançant dans la mer pour former un gigantesque bassin. Il pourrait accueillir des mastodontes des mers, des navires de 225 mètres de long, 14,5 mètres de tirant d’eau, capables de transporter jusqu’à 70.000 tonnes de cargaison. Sa création nécessiterait le dragage de dix millions de mètres cubes de sables marins. Sur terre, environ 25 hectares de nouveaux terre-pleins sont prévus pour accueillir une zone logistique. Un kilomètre de plage de sable fin disparaîtrait sous les futurs quais pour bateaux géants.

Propriété de la Région Occitanie, le port de Port-la-Nouvelle se présente comme « le troisième port français de Méditerranée ». Environ deux millions de tonnes de marchandises y passent chaque année. Mais actuellement, seuls les navires d’un tirant d’eau maximum de huit mètres et de 145 mètres de long peuvent y accoster. (...)

Avec le nouveau bassin et les nouveaux quais, la région espère doubler le trafic du port. À ce projet d’agrandissement est venue se greffer l’installation d’une plateforme de développement et de mise à l’eau d’éoliennes flottantes. Sept éoliennes expérimentales devraient ainsi s’élancer vers le large d’ici deux ans.
La région annonce 800 nouveaux emplois grâce à l’augmentation du trafic portuaire

Les promesses sont belles, pour un territoire comme Port-la-Nouvelle, où le tourisme populaire ne permet pas de résorber un taux de chômage à 28 % et un taux de pauvreté à 22 %. La ville redorerait son blason en accueillant une filière à la pointe du progrès et de la transition énergétique. La Région annonce 800 nouveaux emplois grâce à l’augmentation du trafic portuaire et jusqu’à 2.000 emplois « en lien avec la construction des fermes d’éoliennes flottantes ». Après enquête publique en 2018, le projet a ainsi obtenu sans encombre l’autorisation préfectorale. (...)

« Les emplois c’est du pipeau », ont dénoncé les opposants au projet lors d’une manifestation dans la ville le samedi 25 janvier dernier. Le collectif organisateur, appelé Balance ton port, a réussi à réunir entre 250 et 300 personnes. Le chanteur HK était venu animer la déambulation dans les rues de la ville et soutenir les militants. Les branches locales de la Confédération paysanne, Alternatiba, Extinction rebellion ou encore des Gilets jaunes étaient présents, ainsi que quelques élus régionaux de la France insoumise (FI), et l’eurodéputé, également FI, Emmanuel Bompard. « C’est un projet périmé, d’une autre époque. Quant aux emplois annoncés, je pose la question de leur dimension sociale », a-t-il déclaré. « C’est de la folie des grandeurs, un tel projet, a expliqué Sébastien, des Gilets jaunes de Narbonne. On met 200 millions d’euros ici, et quand les urgences font grève, on ne trouve même pas 60 millions. » (...)

Reporterre n’a en particulier pas trouvé le détail des 2.000 emplois créés via l’activité éolienne. « On ne peut pas précisément prévoir mais ce sera des dizaines voire des centaines d’emplois », nous indique M. Lubrano quand nous lui demandons l’origine du chiffre. « Déjà pas loin de 200 emplois ont été créés avec le début du chantier, qui vont se pérenniser sur 4 ans. »

La prévision de doublement du trafic serait aussi exagérée, selon le collectif. Le port actuel est spécialisé dans l’exportation de blé dur vers l’Afrique du Nord et dans l’importation d’hydrocarbures, appelés à se développer selon les plans de la Région. « Ce port met en concurrence les paysanneries du monde, a dénoncé Pascal Pavie, vigneron de la Confédération paysanne de l’Aude. Par ailleurs, la production de blé dur est en chute libre, il y a une baisse des subventions sur ce type de productions et une augmentation de la concurrence internationale – Ukraine, Canada, Argentine. »

Le collectif souligne aussi le paradoxal objectif d’aménager un port pour la fabrication d’éoliennes, tout en projetant d’y augmenter les importations d’hydrocarbures. (...)

Les opposants listent également les impacts écologiques, qu’ils considèrent comme sous-évalués. (...)

« Ils vont bétonner un kilomètre de plage sauvage en bordure de réserve naturelle ! », s’insurge Laurence Carretero. « Ils n’ont quasiment pas étudié l’impact sur les fonds marins et ne se sont intéressés qu’à une seule espèce, parce que protégée, la grande nacre », se désespère Albert Cormary. (...)

Le Conseil national de protection de la nature a donné un avis – uniquement consultatif – défavorable au projet. Il notait un inventaire de la biodiversité insuffisant, se limitant « à une analyse bibliographique pour la plupart des vertébrés (mammifères marins, ormes, poissons, ...) » et à la « seule analyse des vingt hectares objet de l’aménagement sans se préoccuper d’une zone d’étude élargie des fonds marins ». Reporterre a pourtant pu évaluer d’après les plans que le futur port impacterait une surface d’au minimum soixante hectares en mer, auxquels il faut ajouter les fonds marins sur lesquels sera relargué (« clapé » selon le terme technique) le sable retiré dans le port. L’Ifremer, lui, s’est intéressé aux travaux de dragage, soulignant qu’en l’état actuel, aucune garantie ne permettait d’affirmer qu’ils n’auraient pas d’impact, ou un impact faible, sur la qualité des eaux et « le milieu côtier ou lagunaire ». Autre difficulté, le port actuel est situé sur un chenal qui relie la mer à un fragile étang côtier. « La qualité de l’eau de cet étang est en cours de restauration, rappelle Albert Cormary. Le nouveau port aura un impact sur le renouvellement des eaux de l’étang, on joue aux apprentis sorciers. » (...)

L’appel d’offres de la Région pour la construction des digues a été emporté par Bouygues, associé au néerlandais Boskalis, pour près de 200 millions d’euros. (...)

Malgré tout, les opposants espèrent encore obtenir un moratoire sur les travaux, afin de repenser le projet à plus petite échelle. Pour eux, il est possible de maintenir le projet éolien sans s’engager dans les titanesques travaux d’agrandissement. (...)

Localement, la bataille semble difficile. Laurence Carretero l’a reconnu, peu d’habitants de Port-la-Nouvelle se trouvaient dans le cortège de la manifestation fin janvier. « C’est qu’il y a une grosse pression de la Mairie en faveur du port, l’opposition ne peut se faire qu’en sourdine », a-t-elle expliqué. Le maire de droite Henri Martin a refusé une interview à Reporterre en raison de l’approche des municipales, mais avait déclaré au Monde en janvier que « si on ne fait rien, le port est foutu ». (...)

Au niveau politique, les élus écologistes régionaux, alliés de la présidente socialiste Carole Delga, ont d’abord soutenu le projet. Mais certains semblent rallier l’opposition et ont voté, en novembre, un amendement des élus de la France insoumise qui demandait de stopper les travaux afin de rediscuter le projet. (...)