
Le maître d’école élémentaire au début du XIXe siècle était encore, comme il l’avait été sous l’Ancien régime, un homme extrêmement modeste. Loin de posséder un statut professionnel, c’était très souvent un paysan ou un artisan au chômage, "un marchand de participes" qui pouvait colporter des pots et des casseroles une année et s’offrir pour enseigner l’année suivante. Il portait une, deux ou trois plumes à son chapeau, pour indiquer qu’il pouvait apprendre à lire, à écrire et à compter ; et peu d’entre eux pouvaient enseigner tout cela. Les instituteurs ne parvinrent jamais à échapper à cette pauvreté. Même lorsqu’ils devinrent fonctionnaires et que l’Etat entreprit de leur verser leurs traitements, ils furent les plus mal payés de toute l’administration.
Guizot, ministre de l’Instruction publique et ancien professeur d’université qui, le premier, organisa les écoles normales sur une base uniforme en 1832-1834, donna des ordres fermes pour que ces écoles évitent de fomenter chez les élèves instituteurs "ce dégoût de toute situation modeste, cette soif excessive de bien-être matériel qui tourmente de nos jours la destinée de tant d’hommes, en corrompant leur caractère". On leur demandait énormément, mais dans un esprit de sacrifice. La discipline des écoles devait être "sévère" pour qu’ils sachent comment inculquer la même obéissance aux enfants, car c’était la discipline à l’école qui déterminait "le respect de l’autorité légitime qu’auraient dans l’avenir des élèves". (...)
En 1851, quelque 3000 instituteurs furent démis de leurs fonctions parce qu’ils étaient considérés comme dangereux.
En 1863, un journal commentait : "Constamment à la merci d’un rapport d’inspecteur ou d’une dénonciation, transférés fréquemment sous le moindre prétexte, les instituteurs de la campagne ont atteint un tel degré de misère morale que tous ceux parmi eux qui sentent pouvoir réussir émigrent vers le fonctionnariat, les chemins de fer ou l’industrie privée." Le gouvernement commença alors à les traiter avec un peu plus de respect. Les paysans considéraient les instituteurs comme des enfants rusés ayant réussi à éviter la pénible besogne que les gens ordinaires acceptaient ; ils s’irritaient de leurs longues vacances, de leurs peu d’heures de travail et du salaire fixe qu’ils recevaient régulièrement, quel que soit le temps.
(...)