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Pétain, Macron et la mémoire
Alain Garrigou , agrégé d’histoire et agrégé en science politique. Professeur en science politique à l’université Paris X - Nanterre
Article mis en ligne le 11 novembre 2018
dernière modification le 9 novembre 2018

Quelle mouche a piqué le président Emmanuel Macron en évoquant le maréchal Pétain lors des commémorations de la Grande Guerre, le 7 novembre à Charleville-Mézières ? L’ignorance : ignorance sur la première guerre mondiale, sur Vichy et enfin sur les luttes de mémoire. Selon un ordre chronologique.

Reprenons à l’inverse. Les luttes de mémoire ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient au temps du général de Gaulle dans les années 1960. Rien à gagner sur le plan électoral. Qui défend aujourd’hui Vichy ? Peut-être quelques milliers d’électeurs. Combien vouent une haine imprescriptible à Vichy ? Des millions de gens qui ont appris à l’école, au lycée et à l’université et qui ne peuvent pas oublier ce que fut Vichy. Rien à gagner, beaucoup à perdre. Que le général de Gaulle ait concédé un hommage modéré au « vainqueur de Verdun » dont il avait été le protégé dans l’entre-deux-guerres, on peut comprendre. Que François Mitterrand ait été moins clair, ses sympathies vichyssoises ne le pardonnent pas complètement, mais il y avait encore quelques nostalgiques de Pétain dans les années 1980. Jacques Chirac y mit bon ordre en reconnaissant la responsabilité de l’État français dans les déportations antisémites. Les historiens étaient passés par là, les historiens américains comme Robert Paxton puis français comme Jean-Pierre Azéma qui avaient mis en pièces les excuses des avocats de Pétain pour justifier la collaboration, la question fut tranchée : l’antisémitisme était au programme de Vichy. On sut même, preuve archivistique à l’appui mais preuve superfétatoire, que le statut des Juifs d’octobre 1940 avait été corrigé de la main même du chef de l’État français pour être encore plus dur avec les Juifs français.

Et il y eut tant d’autres « fautes » depuis l’invention de la collaboration, la création du STO, le soutien à la milice, la lutte contre les « terroristes » de la résistance jusqu’à l’appel à se battre contre le débarquement allié de juin 1944. Expliquerait-on qu’un ancien héros de guerre devenu criminel en série doit être réévalué au nom de la première partie de sa vie ? C’est pourtant ce qu’a osé un président de la République en activité. Quant au rôle de Pétain dans la Grande Guerre, de l’artilleur décisif dans la bataille de la Marne au général de la défensive attendant « les chars et les américains », on sait qu’il était à l’envers de l’idéologie dominante offensive des hauts militaires français. Moins aveugle en somme que ses collègues. Il en tira sa popularité dans l’esprit des poilus envoyés à la boucherie par des officiers français peu sensibles à la vie de soldats ordinaires. Une vieille histoire de la guerre en Europe, où les supérieurs n’étaient pas avares de la vie de leurs hommes. En bons héritiers moraux des aristocrates militaires d’Ancien régime. Ce n’était pas mieux du côté allemand. Et ce furent les familles des morts par l’intermédiaire de leurs députés qui se préoccupèrent de la mémoire de leurs enfants morts au combat en leur conférant une marque d’identité et le rapatriement des corps. (...)

Emmanuel Macron a suffisamment accumulé les bourdes grossières manifestant un sentiment de supériorité qu’on peut croire qu’il a fauté seul. En faisant l’équilibre entre un Pétain 1 et un Pétain 2, il a repris une ficelle dialectique de ceux qui font la part des choses parce qu’ils jugent en surplomb au-dessus du commun. Insensibles à certaines dimensions, par exemple morales, de la question. Ainsi vont les élites sûres d’elles. Elles le font d’autant plus que leur mode de consécration ou de certification passe par une culture scolaire superficielle en la matière, celle des grandes écoles, où l’on apprend beaucoup de choses, en réalité des mots coupés de la réalité dont ils sont censés rendre compte, des souffrances, des angoisses, des incertitudes. À coup de fiches de lecture, les jeunes esprits promis à la domination et en tout cas au succès, croient qu’ils comprennent le monde. Mais à quoi sert de les mettre en garde, puisque, aussi doués soient-ils, tout occupés à leur narcissisme, ils sont déjà hors du monde des humains. Et imperturbables, ils récidivent.