
Qui décide d’autoriser ou non un pesticide ? Qui porte la responsabilité de ses éventuelles conséquences sur la santé ? Jusqu’à présent c’était le ministère de l’Agriculture, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Sous prétexte d’efficacité, le ministère souhaite confier cette mission à l’Anses. La responsabilité d’autoriser un produit toxique ne sera donc plus politique mais réservée à des experts... Dans un contexte où de nombreux conflits d’intérêts entachent les agences sanitaires, censées protéger les citoyens.
Analyse.
« La protection du citoyen et de son environnement est du ressort de l’Etat, on ne peut pas accepter son désengagement sur ces questions ». Jean Sabench, responsable de la commission pesticides à la Confédération paysanne, ne cache pas son inquiétude alors que le Conseil des ministres examine ce 13 novembre le projet de Loi d’avenir pour l’agriculture. Sur les quelque 76 pages du projet de loi, l’article 22 pourrait avoir de lourdes conséquences. Il est en effet prévu que l’évaluation et l’autorisation des pesticides soient désormais confiés à un seul et même organisme, l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
Depuis 2006, l’évaluation des produits phytosanitaires est confiée à l’Anses, mais l’autorisation de mise sur le marché (AMM) relève jusqu’à présent de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), un service du ministère de l’Agriculture. « Il ne s’agit pas de retirer une mission à la DGAL mais d’optimiser le dispositif public, de ne pas avoir de procédures trop complexes et de gagner en efficacité », explique une source proche du ministère de l’Agriculture. Ce transfert de compétences marque-t-il simplement une volonté de gagner du temps dans le traitement des dossiers ? Ou bien s’agit-il de dessaisir le politique de cette responsabilité au profit d’une « dictature des experts », comme le soulignent les détracteurs du projet de loi ?
Quand l’expertise prend le pas sur le politique (...)
Pour Jean Sabench de la Confédération paysanne, l’autorisation « doit prendre en considération l’avis scientifique, mais aussi des aspects sociétaux et socio-économiques qui sont du domaine politique ». Il propose que l’autorisation de mise en marché soit confiée aux ministères de la Santé et de l’Environnement. (...)
Ce transfert de compétences intervient alors que de profonds dysfonctionnements dans le système des autorisations de mise sur le marché (AMM) des pesticides ont été rendus publics le 23 avril dernier. Générations Futures s’est procurée des courriers du directeur de l’Anses à l’attention du ministère. Ils faisaient état de dizaines de produits phytosanitaires autorisés depuis plusieurs années sans tenir compte des alertes de l’Anses. « Cette affaire montre clairement que l’homologation des pesticides en France ne peut plus rester l’affaire de quelques fonctionnaires du ministère de l’Agriculture » soulignait l’association, qui a déposé un recours pour « carence fautive de l’Etat ».
Le ministère de l’Agriculture a réagi le jour-même en demandant un audit « pour identifier les blocages et proposer des solutions garantissant une plus grande réactivité dans la mise à jour de cette base de données ».
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De nombreux conflits d’intérêts auraient également entaché la mission de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), selon François Veillerette. « Ce monde-là est largement consanguin : ça se balade entre l’interprofession, les services de l’Etat et les syndicats. Ce n’est pas le meilleur gage d’indépendance » (...)