
Le rapport publié jeudi dénonce la toute-puissance de l’industrie pharmaceutique et un gouvernement qui l’arrose sans réelles contreparties. Résultat : les traitements manquent de plus en plus dans les pharmacies.
Après cinq mois d’enquête et plus de cinquante auditions, la présidente de la commission d’enquête du Sénat sur la pénurie de médicaments, Sonia de La Provôté (Union centriste), a présenté, jeudi 6 juillet, un rapport sévère et très étayé – bien que son contrôle à Bercy sur les aides allègrement versées à l’industrie pharmaceutique ait tourné court, faute de documents présentés (une liasse est finalement « parvenue en retard, non sans difficulté »). (...)
Adopté sans aucune voix contre, il dénonce l’opacité du secteur et « des mesures insuffisantes pour endiguer le phénomène », pointant un pouvoir de sanction trop peu utilisé (seulement huit amendes aux laboratoires entre 2018 et 2022, pour un montant total de 922 000 euros) et « des dispositifs d’aides mis en place depuis 2020 décevants, voire inadaptés ». Le nombre de médicaments en rupture d’approvisionnement, ou en risque de l’être, n’a jamais été aussi élevé : près de 3 700 l’an passé. (...)
En plus d’étriller la politique d’Emmanuel Macron, le document liste trente-six recommandations, saluées par l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, que la présidente de la commission et sa rapporteuse communiste, Laurence Cohen, ont demandé à présenter au gouvernement : « Il n’y a pas de fatalité face aux choix des industriels qui remettent en cause les intérêts de santé publique. »
L’industrie chimique et pharmaceutique est responsable de notre dépendance, notamment vis-à-vis de l’Asie, dans la production des premières étapes de fabrication de médicaments essentiels comme ceux à base de paracétamol, tel le Doliprane, le best-seller de Sanofi (parmi les vingt médicaments qui coûtent le plus cher à la Sécu depuis 2015). La seule unité de production de matière première encore présente en Europe en 2008 a été délocalisée en Chine, aux normes sociales et environnementales moins strictes, pour réaliser des économies… Et cette industrie reçoit à présent un soutien financier pour relocaliser. Mais cela prend du temps : les premiers produits ne sont pas attendus avant 2025.
Sur 106 projets financés par deux enveloppes d’aides annoncées par Emmanuel Macron en juin 2020 (France Relance et « Capacity building »), d’un montant global de près de 700 millions d’euros, seuls 18, soit 17 %, ont réellement concerné une relocalisation, révèle le rapport du Sénat. (...)
L’agitation d’Emmanuel Macron
De quoi dégonfler les effets d’annonce de l’Élysée, notamment sur le symbolique paracétamol qui a continué de manquer tout l’hiver et dont les premières étapes de fabrication chimique dépendront toujours de la Chine après la mise en route de l’usine dans l’Hexagone. D’autres molécules essentielles comme l’amoxicilline, l’antibiotique le plus prescrit en France, sont devenues encore plus difficiles à trouver en officine.
Se sachant traqué par la commission d’enquête des parlementaires, le président de la République accentue sa stratégie d’agitation, deux ans après avoir lancé le plan de relance France 2030 : le secteur de la santé en est le grand gagnant, puisqu’il est destinataire de 7,5 milliards d’euros, soit 14 % de cette enveloppe. Le 13 juin dernier, il a fait savoir en grande pompe que l’État appuierait la relocalisation de la fabrication de 50 molécules, dont 25 dans les prochaines semaines. Et, à terme, de 450. Avec quelles contreparties ? (...)
Mediapart avait par exemple révélé qu’aucun remboursement n’était prévu dans le cas de Novartis, qui a reçu un chèque de 800 000 euros en mars 2021 dans le cadre du plan de relance de l’exécutif alors que, deux ans plus tard, le géant suisse fermait le site. Novartis avait néanmoins répondu à Mediapart qu’il s’engageait à rendre l’argent.
Le rapport du Sénat cite également l’exemple de l’entreprise française Carlide, fabriquant des solutions pour poches à perfusion, soutenue à hauteur de 5 millions d’euros mais placée en redressement judiciaire en janvier 2023, ce qui « traduit l’impréparation et le manque d’anticipation des pouvoirs publics » et « des aides inutiles ». Les élu·es de la Haute Assemblée invitent alors à « conditionnaliser les aides versées » (pérennité de l’activité en France, engagement en matière d’approvisionnement du marché, maintien de l’emploi, etc.).
Sanofi est le laboratoire qui bénéficie le plus d’un autre appui de l’État, le crédit d’impôt recherche (CIR), sans que cela l’empêche de se séparer de ses chercheurs. (...)
Ce cadeau fiscal bénéficie de plus en plus aux entreprises pharmaceutiques (...)
Par ailleurs, « l’enquête menée par la commission auprès de la direction générale des finances publiques a révélé des pratiques d’optimisation du CIR hautement contestables », déplorent les parlementaires, à coups de rachats de start-up étrangères, dont les coûts de R&D sont facturés à la société française pour en bénéficier, sans production dans l’Hexagone.
Une liste de médicaments essentiels élaborée dans la précipitation (...)
Démasqué, le gouvernement entend imposer ses conditions pour huit projets de relocalisation de médicaments essentiels annoncés par Emmanuel Macron le 13 juin.Démasqué, le gouvernement entend imposer ses conditions pour huit projets de relocalisation de médicaments essentiels annoncés par Emmanuel Macron le 13 juin. (...)
Ce catalogue est l’œuvre de quelques sociétés savantes, sans couvrir l’ensemble des spécialités médicales, d’où les absences remarquées, comme des antiviraux ou des contraceptifs en dehors d’un contexte d’urgence. (...)
La situation pourrait encore empirer : les industriels ont dit à la commission d’enquête recenser près de 700 médicaments « peu ou non rentables », dont ils envisagent l’arrêt de la commercialisation à court ou moyen terme si des hausses de prix ne sont pas acceptées, soit près de 12 % des volumes des génériques (les copies des médicaments de marque), aujourd’hui commercialisés, essentiellement d’intérêt thérapeutique majeur. (...)
Face à ce chantage, les sénateurs appellent à accentuer la production publique des médicaments, avec un pilotage par la pharmacie centrale des hôpitaux parisiens « en renonçant aux suppressions d’emplois programmées », sans appeler toutefois à la création d’un pôle public du médicament : une proposition de loi en ce sens a déjà été rejetée par la majorité présidentielle en 2020.
La France insoumise, sous l’impulsion du député Damien Maudet, prévoit de revenir à la charge dans le cadre des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale à la rentrée, afin de pallier les manquements des firmes. En espérant être davantage entendue trois ans plus tard, avec des pénuries qui ne cessent de s’aggraver depuis, malgré les millions versés.