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Pays riche et vieillissant, adepte de l’austérité, cherche infirmier européen pauvre pour emploi au rabais
Article mis en ligne le 29 juin 2015
dernière modification le 25 juin 2015

Avec une population vieillissante, l’Allemagne manque cruellement de main d’œuvre, en particulier pour travailler dans le secteur de la santé. Hôpitaux, cliniques, maisons de retraites et structures de soins à domicile recrutent massivement.

. Heureuse coïncidence : les agences de recrutement disposent d’un vivier d’infirmiers venus de l’est et du sud de l’Europe. Des personnels soignants souvent très qualifiés qui cherchent à échapper à l’austérité ou à la pauvreté. Mais entre des salaires bas, des contrats de travail aux clauses abusives et l’absence de droits sociaux, l’Allemagne n’est pas un eldorado. Loin de là.

« Nous ne pouvons pas vous offrir un pays de cocagne en Allemagne, parce que cela n’existe pas ! ». Cette phrase, aux allures de slogan hostile aux migrants, figure sur un avenant au contrat de travail. Un contrat que s’apprêtent de signer des infirmiers bulgares recrutés par une agence d’intérim allemande. Les futurs soignants sont prévenus : « En Allemagne, tout est tourné vers une société de la performance. Cela signifie que l’on doit fournir chaque jour 100 % de ses capacités », est-il inscrit en gras. Les autres clauses du contrat de travail ne sont guère plus avenantes. L’employé devra payer des sanctions financières de 3000 à 5000 euros s’il divulgue à un tiers ses conditions d’emploi et de formation, ou s’il rompt le contrat avant la première année de l’embauche. Cette « amende » sera immédiatement exigible et encaissée par une firme de recouvrement bulgare. (...)

Selon les chiffres de l’agence pour l’emploi allemande, un poste d’infirmier reste vacant en moyenne 15 semaines, plus de trois mois et demi, avant de trouver preneur. Ce temps de vacance s’élève à plus de quatre mois pour un emploi dans une maison de retraite médicalisée. La situation devrait encore s’aggraver compte tenu de l’évolution démographique allemande [1]. Il manque entre 150 000 à 190 000 personnels de soin, infirmiers ou aide-soignants dans la prise en charge des personnes âgées. Dans ce contexte, certaines agences de recrutement sont peu scrupuleuses.

Dans son bureau de Berlin, Vladimir Bogoeski a reçu les premiers appels au secours d’une poignée d’infirmières bulgares, en début d’année. Il suit aujourd’hui deux groupes venus de Sofia, la capitale, et d’une ville de province, Vratsa. Des recrutements similaires seraient en cours en Roumanie. L’entreprise d’intérim allemande dispose d’antennes dans toute l’Europe de l’est, des pays baltes aux Carpates. Elle y démarche des infirmiers qualifiés, leur organise trois mois de cours d’allemand dans le pays d’origine, puis les envoie travailler en Allemagne sous contrat d’intérimaire. Le personnel soignant est, lui, séduit par des perspectives salariales alléchantes.

« C’est comme un esclavage financier » (...)

Des infirmières qualifiées bulgares, espagnoles ou grecques...

Les infirmiers migrants ne viennent pas que de l’est. Espagnols, Portugais et Grecs arrivent à leur tour pour travailler en Allemagne, poussés par l’austérité imposée au sud de l’Europe. (...)

Le travail des infirmiers est souvent moins qualifié et plus dur physiquement en Allemagne que dans les pays d’origine des personnels européens. Il englobe des tâches comme les soins d’hygiène réalisés ailleurs par des aides-soignants. « Les infirmiers du reste de l’Europe ont souvent des compétences plus larges qu’en Allemagne. Mais il y a des domaines, comme les soins de bases, dans lesquels ils ont peu d’expérience pratique », indique ainsi le groupe allemand de cliniques privées Agaplesion, qui emploie 19 000 personnes dont plus de 700 infirmiers migrants. « Les collègues espagnols qui viennent travailler ici sont plus qualifiés que les Allemands. Nos conditions de travail ne correspondent pas à leur attentes », constate aussi Dietmar Erdmeier, de la confédération syndicale Verdi.

Pas de congés payés et rarement d’assurance-maladie (...)

Certaines entreprises spécialisées dans le soin à domicile leur demande en outre d’effectuer des missions qui n’ont rien à voir avec le soin. « Ces infirmiers formés sont aussi traités comme des aides ménagères. On leur demande de tout faire, promener le chien, arroser les plantes, nettoyer les sols », rapporte Sylwia Timm, conseillère polonaise spécialisée dans les secteur du soin à la confédération syndicale DGB. (...)

Quant à ceux qui ont été recrutés par une agence d’intérim, beaucoup démissionnent malgré tout, en espérant que les employeurs n’iront pas jusqu’au tribunal pour obtenir les milliers d’euros réclamés. Parfois, ils trouvent des postes plus qualifiés et mieux payés. Comme Maria, qui a été embauchée à l’hôpital universitaire de Berlin. Sylwia Timm constate à regret : « Les infirmières étrangères n’ont pas toujours conscience de leur valeur sur le marché du travail allemand. Leurs employeurs le leur cachent bien. »