
Mardi 5 avril – la stratégie Dracula
Le jour vient de se lever sur Pau. La préfecture du Béarn, fief historique de Total, s’apprête à accueillir un sommet international sur les forages pétroliers en haute-mer.
Du ‘business-as-usual’ pour les principaux acteurs du secteur. 500 délégué.e.s, venu.e.s du monde entier, s’affairent dans leurs hôtels, et se préparent à se rendre au Palais Baumont, pour l’ouverture officielle de leur congrès. Au menu : des discussions sur la manière dont poursuivre l’exploitation des gisements d’hydrocarbures en haute-mer (plus de 1000 mètre de profondeur) et très haute mer (plus de 1500 mètres de profondeur) alors que la chute du prix du baril de pétrole remet totalement en cause la rentabilité du secteur.
Au même moment, nous sommes plusieurs dizaines à nous affairer également. Notre but ? Bloquer le sommet, ou, à défaut, perturber aussi fortement que possible la tenue des débats. Notre approche ? La désobéissance climatique. Utiliser nos corps, quelques bottes de paille, des sifflets et des cornes de brume, pour empêcher les congressistes de se réunir (ou, à défaut, de pouvoir discuter). Le tout sans s’en prendre aux biens ou aux personnes. Pour marquer que la violence et la destruction sont bien du côté de celles et ceux qui se réuniront au Palais Baumont.
Mais ce choix n’est pas celui de la passivité, sans cela, nous ne pourrions rien faire : un important dispositif policier doit permettre aux congressistes de se réunir en toute quiétude. De ce point de vue, trois mois après la COP21 et l’adoption de l’accord de Paris, l’état français a fait son choix : soutenir celles et ceux qui détruisent le climat, c’est-à-dire réprimer les militant.e.s de la justice climatique. (...)
Exposer publiquement ce qui se joue dans ce genre d’arènes qui n’est habituellement ouverte aux seul.e.s happy few suffit à gripper les rouages de leurs projets : ceux-ci n’ont de l’avenir que si les opinions publiques en ignorent les tenants et les aboutissements.
Ouvrir un débat sur la légitimité d’une telle rencontre, quelques mois à peine après la COP21 (saluée comme la « plus belle des révolutions » par François Hollande) n’est pas sans effet politique. C’est ouvrir une brèche, et remettre un peu plus en cause la légitimité sociale que nous accordons à l’industrie des combustibles fossiles. L’extraction de gaz et de pétrole est en effet bien plus nocive pour notre avenir qu’indispensable à notre quotidien.
Nous mettons fin à notre occupation en fin d’après-midi, au moment où les premiers congressistes repartent pour leurs hôtels.
Mercredi 6 avril – nuit debout pour les fossoyeurs du climat
Le soir même, Pau devait tenir sa première nuit debout. Mais la pluie est trop forte pour occuper massivement l’espace public.
Pau connaîtra pourtant une déclinaison toute particulière de la nuit debout : à 2 heures du matin, ce 6 avril, quelques militant.e.s se retrouvent devant les 5 étoiles où sont hébergé.e.s les congressistes les plus important.e.s. Cornes de brumes, sirènes et mégaphones les sortent du sommeil. Deux heures plus tard, les mêmes scènes se répètent, mais à l’intérieur même des hôtels cette fois-ci. En particulier au dernier étage, celui des suites les plus luxueuses.
À l’aube, après une nuit agitée, les congressistes se rendent compte qu’il leur est impossible de quitter leurs hôtels par la grande porte : plusieurs militant.e.s se sont enchaîné.e.s, avec des chaînes et des cadenas, aux principaux accès.
L’enjeu n’est pas secondaire, bien au contraire. Quand un système est sur le point de s’effondrer, lorsqu’il vacille jusque dans ses fondements éthiques, « convertir » ou « retourner » des personnes contribuaient jusqu’alors à faire fonctionner ce système, s’impose comme un axe stratégique de construction du changement. (...)
Jeudi 7 avril – le Velvet Underground & Ende Gelaende
La fatigue commence à se faire sentir. Je me rends donc au Palais Baumont un peu plus tard que prévu. Surpris : tous les accès sont bloqués. Aucun congressiste ne peut rentrer. 150 militant.e.s sont en effet enchaînes aux grilles ou aux roues d’une camionnette de l’un des organisateurs du sommet. Les cubes gonflables qui étaient au cœur de la chorégraphie de l’action des lignes rouges, le 12 décembre dernier, en clôture de la COP21, sont de sortie.
Ailleurs, nous nous allongeons sur la chaussée. Les congressistes peuvent passer, mais ils doivent littéralement nous marcher dessus. Chacun.e. est interpelé.e, calmement et résolument, ouvrant la porte à des dialogues parfois étonnants. (...)
Comme l’expliquait Frédéric Lordon, place de la République le 31 mars pour lancer la nuit debout, « il se pourrait bien que nous soyons en train d’accomplir quelque chose ».
Ce quelque chose n’est pas vain : il s’agit de respecter nos engagements et de tenir nos promesses. Les chef.fe.s d’états et de gouvernement ne sont en effet pas les seul.e.s à avoir pris des engagements forts à Paris, lors de la COP21. Nous l’avons également fait : nous avons annoncé que nous nous mobiliserions, partout où ce serait nécessaire, pour faire barrage à la destruction du climat. Parce que nous prenons trop au sérieux la lutte contre le réchauffement climatique pour l’abandonner aux seuls États.
Contrairement à eux, à Pau, nous avons honoré notre promesse. Et nous continuerons de le faire : le 21 avril, à Paris, en marge du « Oil International Summit » qui se tiendra porte Maillot. Et en mai prochain, dans le cadre des actions « Breakfree – Libérons-nous des combustibles fossiles« .
Pau n’est en effet pas une date isolée, une mobilisation sans passé ni devenir. Les trois jours qui viennent de s’achever s’inscrivent dans la même dynamique que les camps actions climat et que les actions de blocage d’infrastructures fossiles.
(...)
nous repartons tou.te.s déterminé.e.s à organiser nous-mêmes de nouvelles actions.
Parce que nous prenons au sérieux l’état d’urgence climatique. Parce que nous nous sommes engagé.e.s à agir pour que les lignes rouges d’un futur juste et durable ne soient jamais franchies. Et nous, nous honorons nos promesses.