
Arrivé en France en 2001, Kandé Touré, Malien de 44 ans, a travaillé pendant 15 ans le plus discrètement possible, sous l’identité d’un oncle ou d’un cousin dont il empruntait les papiers. Aujourd’hui sans emploi, il a décidé de ne plus se cacher. Au sein d’un collectif, il se bat pour la régularisation des travailleurs en situation irrégulière.
Pendant 17 ans, Kandé Touré s’est tu. Travailleur sans-papiers, il avait appris à vivre sans mentionner sa véritable identité, sa situation, son adresse. En 2018, tout a changé. Après avoir perdu son emploi, ce Malien de 44 ans a été expulsé de son foyer. Puisqu’il n’a "plus rien à perdre", Kandé a décidé de ne plus se cacher : il est devenu l’une des figures de la lutte pour la régularisation des travailleurs sans-papiers.
Vendredi 18 décembre, il a défilé aux côtés de centaines d’autres sans-papiers et manifestants à Paris pour l’acte IV de la Marche des Solidarités. Kandé Touré n’a loupé aucune de ces marches. Il y en a eu trois autres depuis le 30 mai. Vendredi, il avait de nouveau apporté sa banderole appelant à régulariser les travailleurs sans-papiers de Montreuil.
Si aujourd’hui le Malien assume d’être un des visages du mouvement, c’est parce qu’il a l’impression d’être passé à côté d’une partie de sa vie. "Les nouveaux qui arrivent aujourd’hui, je suis prêt à les aider pour qu’ils ne vivent pas comme nous, sans-papiers, sans droits", assure-t-il. (...)
cet énergique Malien raconte son histoire en arpentant la ville qu’il connaît désormais "par cœur".
Une meilleure vie
Kandé Touré est né en avril 1976, dans la région de Kayes, à l’ouest du Mali. Avec huit enfants à nourrir, ses parents – cultivateurs d’arachides - ont du mal à nouer les deux bouts. Kandé Touré est l’avant-dernier de la fratrie. Dans la famille, on le dit "courageux et social".
"J’avais un oncle qui était déjà en France. Il voulait que je vienne travailler ici pour avoir une meilleure vie. Il me disait que ça serait bien pour moi", se souvient le Malien.
Ses parents n’hésitent pas à laisser partir leur fils. L’oncle lui obtient un visa de travail et le jeune homme, alors âgé de 25 ans, s’envole pour Paris à la fin de l’année 2001. Dès son arrivée, il s’installe au foyer de travailleurs Bara, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) où vivent déjà son oncle et un cousin.
Construit en 1968 et prévu pour héberger quelque 400 personnes, en 2001 cet hébergement est surpeuplé et décati. Comme beaucoup d’autres, Kandé dort dans des couloirs et souffre du bruit permanent.
"La première année, je n’ai pas travaillé. Je suivais des cours de français et d’anglais à la mairie de Montreuil", raconte-t-il. Son visa expire et Kandé Touré entre dans l’illégalité. Pour travailler, il prend les papiers d’identité de son oncle (...)
Kandé Touré travaille dur mais il n’a pas d’autre choix que de déposer son salaire sur le compte en banque de son oncle. Ce dernier n’hésite pas à piocher dans les sommes rassemblées par son neveu. "Je ne pouvais rien faire, je travaillais sous son identité et le compte était à son nom", déplore le Malien qui se dit aujourd’hui en colère contre cet oncle. En plus du vol de son argent, il ne l’a jamais orienté vers des démarches de régularisation. "Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien, je ne savais pas du tout quelle était la marche à suivre pour obtenir des papiers". (...)
"J’avais envie de passer mon permis, de prendre un logement, d’avoir une carte bleue. Rien de tout cela n’était possible" (...)
Kandé se construit aussi une vie sociale, sort avec ses collègues. Mais tout le monde ignore qu’il est sans-papiers. "Pendant des années, on a fait la fête ensemble. Je ne leur ai jamais dit que j’étais en situation irrégulière, j’avais honte et maintenant je regrette. Ils auraient pu m’aider", confie-t-il.
À cette période là, le jeune Malien fait aussi la connaissance d’une Française d’origine malienne. Mais, dit-il, sa situation inquiète son amie qui finit par rompre.
En 2018, la vie de Kandé bascule. Employé dans un hôtel du 15e, il doit se présenter avec ses documents d’identité pour "une réunion avec tous les directeurs". Il sera licencié. "J’ai été convoqué le lendemain et j’ai dû partir", raconte-t-il sobrement.
La descente aux enfers se poursuit quand les travailleurs sans-papiers du foyer Bara doivent définitivement quitter les lieux en novembre 2018. Insalubre, le foyer est destiné à la démolition. Relogés dans un autre bâtiment, les anciens "Bara" en seront à nouveau expulsés un an plus tard, en octobre 2019.
C’est à ce moment-là que Kandé Touré a décidé de s’engager pour la défense des sans-papiers. "On a été traités comme si on n’était pas humains, comme si on était arrivés hier", se souvient-il (...)